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peou et le nouveau parlement. Celui-ci, composé à la hâte d’élémens hétérogènes et dans lequel on avait fait entrer des hommes peu estimés, n’avait trouvé au début ni avocats, ni procureurs, ni plaideurs qui voulussent paraître devant lui. Cependant Maupeou, comptant sur la mobilité française, opposait la persistance aux clameurs ; au bout d’un an, la plus grande partie des avocats s’étaient fatigués du silence, et, sous l’influence du célèbre Gerbier et de ce même Caillard que nous avons vu si violent contre Beaumarchais, ils avaient consenti à reprendre leurs fonctions[1]. Les princes dissidens demandaient à rentrer en grâce, les magistrats dépossédés consentaient à la liquidation de leurs charges, les pamphlets diminuaient, les choses reprenaient leur cours ordinaire, tout semblait calmé ; Maupeou se tenait pour assuré du triomphe et se vantait d’avoir retiré la couronne du greffe : il se trompait. Quand l’esprit public d’une nation est profondément blessé, la blessure paraît quelquefois se fermer, mais ne se guérit pas ; ce qui a été d’abord une flamme devient un feu latent qui couve sous la cendre et que la moindre étincelle suffit pour ranimer. Il était réservé à Beaumarchais de rallumer, avec un procès de quinze louis, la flamme qui devait dévorer Maupeou et son parlement.

On se souvient de la situation de Beaumarchais au moment où s’instruisait en appel son procès contre le comte de La Blache. Prisonnier au For-l’Evêque, il avait obtenu, aux approches du jugement, la permission de sortir pendant la journée pour aller solliciter ses juges. L’affaire avait été mise en délibéré, et devait être décidée sur le rapport d’un conseiller du nouveau parlement nommé Goëzman. Ce Goëzman, d’abord conseiller au conseil souverain d’Alsace, avait vendu sa charge, et en 1765 était venu s’établir à Paris. C’était un jurisconsulte assez érudit ; entre autres ouvrages, il avait publié, en 1768, un Traité du droit commun des fiefs qui n’était pas sans mérite. Seulement, à en juger par une foule de renseignemens que je trouve dans les papiers de Beaumarchais, soit que le prix de sa charge en Alsace ne lui appartînt pas, soit qu’il eût été dissipé par lui, il paraît qu’il menait à Paris une existence assez aventureuse et

  1. C’est à ce sujet qu’on fit circuler le vaudeville suivant :

    L’honneur des avocats,
    Jadis si délicats,
    N’est plus qu’une fumée ;
    Leur troupe diffamée
    Subit le joug enfin,
    Et de Caillard avide
    La prudence décide
    Qu’il vaut bien mieux mourir de honte que de faim.