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encore. Dans le Piémont, on sait quels sérieux et pénibles conflits se sont élevés entre l’église et le pouvoir temporel sur les points les plus délicats de la législation. Notre pays n’est point le dernier, on le pense, où se soit réveillée l’ardeur des discussions religieuses. Voici quelques années déjà que cette lutte se prolonge, passant par des alternatives diverses, alimentée par toute sorte de sujets ; dans ces derniers mois particulièrement, elle a pris un degré nouveau de vivacité. Ce n’est plus même dans les journaux et sous la forme des polémiques ordinaires qu’elle s’agite, c’est dans des mandemens, dans des actes émanés de l’autorité ecclésiastique. Il semble que l’esprit de discorde se soit glissé dans l’épiscopat. Quel a été le point de départ de cette phase nouvelle ? C’est l’interdiction lancée par Mr l’archevêque de Paris sur le journal l’Univers. La majeure partie de l’épiscopat français, d’après tous les indices, a approuvé la mesure prise par le prélat parisien. Il y a eu cependant des dissidences, et de là est né un nouvel incident plus grave que le premier sans nul doute. Mr l’archevêque de Paris a cru devoir déférer au saint-siège un mandement par lequel Mr l’évêque de Moulins se constituait en quelque sorte le juge d’un acte de sa juridiction, et opposait doctrine à doctrine. Nous n’avons point le dessein, on le conçoit, d’entrer ici dans un débat de cette nature. À travers tout, c’est toujours la guerre des doctrines gallicanes et des doctrines ultramontaines ; c’est la vieille lutte entre ceux qui reconnaissent et observent les traditions d’une église de France et ceux qui remonteraient aisément au-delà du concordat, au-delà même de Bossuet. En représentant dans cette mêlée l’intérêt gallican, Mr l’archevêque de Paris ne faisait rien que de simple et de naturel. Chose étrange cependant, et comme il est vrai que l’air de notre temps exerce partout son influence ! N’est-il point remarquable que M. Sibour cède justement lui-même à cette ardeur de polémique qu’il reproche à M. de Dreux-Brézé ? N’est-il point bizarre que sa correspondance avec Rome arrive au public français avant de parvenir au saint-siège ? Maintenant tous ces incidens sont portés devant le souverain pontife ; quelques-unes des personnes qui ont figuré dans ces polémiques ont même été déjà reçues, assure-t-on, par Pie IX, qui aurait gardé une attitude de réserve dont il ne se départira pas probablement. Et dans le fait, quelle décision pourrait-on lui demander ? Il est infiniment présumable qu’il répondra aux uns et aux autres par ce mot que citait récemment un prélat : Pax vobis ! C’est la meilleure réponse qu’il puisse faire, il nous semble. N’y a-t-il pas en effet dans ces déchiremens quelque chose de nature à affaiblir l’action de l’église elle-même ? Il pourrait bien, au surplus, ressortir de tout ceci une moralité : c’est que, si les journalistes n’ont point à se transformer en docteurs et en évêques, les évêques et les ecclésiastiques doivent à leur tour le moins possible se faire journalistes, c’est qu’en un mot chacun doit rester à sa place et à son rôle. Il arrive trop souvent que les journalistes sont d’assez mauvais évêques sans que les abbés soient de très bons journalistes.

Tels sont les déplacemens qui s’opèrent parfois dans le mouvement de la vie. L’agitation est aujourd’hui dans les sphères religieuses ; elle est bien loin, on le sait, d’être à un égal degré dans les régions politiques. Ici au contraire la paix règne, les polémiques sont rares, les conflits de pouvoirs ne sont guère possibles. Tandis que le corps législatif, réuni déjà depuis un mois,