Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/1208

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lieu ; enfin les différends autrichiens avec la Turquie viennent de s’apaiser. Il n’y a nullement à s’y méprendre au surplus. Cela peut témoigner des tendances et des dispositions des gouvernemens. Les difficultés elles-mêmes, en ce qu’elles ont d’essentiel, ne laissent point de survivre sous plus d’un rapport. En observant de près quelques-uns des plus récens incidens, la manière dont ils naissent, dont ils sont conduits et dont ils se dénouent, peut-être pourrait-on arriver à une autre conclusion encore : c’est que les gouvernemens ne sont point, à coup sûr, sans savoir sur quel terrain ils marchent. Ils sont dominés par toutes ces grandes questions qui sont en quelque sorte dans l’air en Europe, et qui se représentent sous toutes les formes. À chaque occasion nouvelle de résolutions décisives, ils sentent ce qu’il y a au bout de ces résolutions ; ils sont moins puissans pour agir que pour se neutraliser mutuellement.

Que reste-t-il donc des complications diverses qui ont un moment surgi ? Il reste indubitablement vrai, au point de vue de l’ordre public européen, qu’il y a eu la préméditation, l’espérance d’un mouvement dont les ramifications étaient loin de se borner à une seule ville, à un seul pays. Il suffirait pour le prouver de cette étrange simultanéité entre l’échauffourée de Milan, l’attentat de Vienne et l’agitation qui s’est tout à coup manifestée à Pesth ou sur d’autres points. Maintenant, après l’insuccès, nous voyons se dérouler l’édifiant épisode des récriminations démagogiques, bouffonne comédie après la tragédie sanglante. Les Jupiters olympiens de la révolution se querellent et se foudroient dans leur défaite ; que serait-ce donc après la victoire ! Ils échangent d’assez aigres paroles enveloppées de déclamations fraternelles. Dans le fait, il y a là un curieux spécimen des procédés révolutionnaires. M. -Kossuth, il y a quelque deux ans ou plus, pendant qu’il était à Kutaya, signe un manifeste quelconque. Changez la date, ajoutez ou supprimez quelques mots de circonstance, laissez cette creuse emphase qui est toujours la même : c’est le manifeste de l’insurrection de Milan. M. Kossuth, qui paraît n’avoir point été consulté sur ces transformations de son éloquence, trouve le procédé léger, à quoi M. Mazzini répond en se couvrant la tête de cendres : — Et vous aussi, mon ; frère et vous aussi vous faites comme le premier bourgeois venu, comme les conservateurs et les réactionnaires ; vous dites : Malheur aux vaincus ! — Pour réclamer ainsi le bénéfice de cette pitié et de ce respect qui s’attachent au malheur, M. Mazzini semble oublier qu’il y a de son fait et du fait de tous les siens bien d’autres victimes, bien d’autres vaincus dans le monde auxquels le sentiment public a bien assez à faire de s’intéresser. Il y a la sécurité universelle, l’ordre social ; il y a la liberté elle-même qui n’a jamais été plus vaincue que dans ces dernières années, à Vienne, à Berlin, à Paris, à Francfort et à Rome, par la république mazzinienne. L’ex-triumvir romain oublie que ses triomphes sont la déroute des sociétés, et que ses défaites sont la victoire de l’ordre général, victoire parfois chèrement achetée ; c’est ce qui fait que cet intérêt réclamé par M. Mazzini pour lui-même, il est permis de le réserver pour des occasions meilleures et de plus illustres victimes, et qu’il est en même temps du devoir de l’Europe de se prémunir contre ces tentatives d’où la liberté et la justice sortent chaque fois plus meurtries.