Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/1162

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au moins en avoir l’apparence. Toutes les villes ont des parcs publics, qui sont tout simplement de grandes prairies avec de beaux arbres. On voit à Londres des vaches et des moutons pâturer librement sur les pelouses de Green-Park et de Hyde-Park, au bruit incessant des voitures qui roulent dans Piccadilly. Celui que ses affaires entraînent sans relâche peut au moins apercevoir en passant un coin de l’Éden. Chacun cherche à se loger le plus loin possible du centre de la ville, pour être plus près des champs. L’été, on s’échappe dès qu’on peut pour visiter un ami dans sa ferme ou pour passer quelques jours en voyage dans une contrée renommée pour ses beautés naturelles. Tous les sites un peu pittoresques du pays sont parcourus tous les ans par une foule qui en jouit avec cette joie sereine et silencieuse particulière aux Anglais. Le grand bonheur est d’aller jusqu’en Écosse, pour respirer à l’aise la senteur des bruyères et rêver de la vie vagabonde des caterans de Walter Scott.

Les monarques anglais donnent les premiers l’exemple de cette prédilection universelle ; ils n’habitent la ville que lorsqu’ils ne peuvent pas faire autrement. Ce qui ne fut qu’un jeu gracieux et court pour Louis XVI et Marie-Antoinette, dans la ferme artificielle de Trianon, est une douce réalité pour la reine Victoria et le prince Albert. Le prince dirige à Windsor une vraie ferme où naît et s’engraisse le plus beau bétail des trois royaumes. Ses produits gagnent ordinairement les premiers prix dans les concours. À Osborne, où elle passe la plus grande partie de l’année, la reine surveille elle-même une basse-cour dont elle est fière, et tous les journaux ont annoncé dernièrement qu’elle venait de découvrir un remède à la maladie des dindonneaux quand ils prennent le rouge. Ce qui chez nous prêterait au ridicule est pris très au sérieux par nos voisins, et ils ont cent fois raison. Heureuse et sage entre toutes la nation qui aime à voir ses princes se livrer à ces utiles délassemens !

On devine sans peine ce que peut avoir d’effets pour la richesse des campagnes ce séjour habituel des premières familles du pays. Tandis qu’en France le travail des champs sert à payer le luxe des villes, en Angleterre le travail des villes sert à payer le luxe des champs. Là se dépensent presque tous les trésors que le plus industrieux des peuples sait produire. Il en revient une bonne partie à la culture. Plus le propriétaire touche de près sa terre, plus il est disposé à l’entretenir en bon état. L’amour-propre, ce grand stimulant, est sans cesse en jeu. On ne veut pas montrer à ses voisins des bâtimens en ruines, des chemins impraticables, des attelages défectueux, des animaux chétifs, des champs négligés ; on met son orgueil à des dépenses productives, comme ailleurs à des dépenses frivoles, par la contagion de l’exemple. On a une terre bien tenue, comme à Paris un bel hôtel et un riche mobilier.