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l’opium, les Anglais sont venus au Fo-kien, d’où ils ont été expulsés. Ils ont profité d’un vent favorable pour remonter dans le nord. Ils n’ont d’autres ressources que leurs navires, qui tirent soixante pieds d’eau, et qui ne peuvent par conséquent approcher de nos côtes... Que chacun de vous dorme tranquille ! Moi, qui depuis ma jeunesse ai lu une foule de livres sur l’art de la guerre, et qui ai répandu la terreur de mon nom dans le Turkestan, je considère ces ennemis comme de faibles joncs. Malheur à eux s’ils osent venir à nous !... » Un autre mandarin, adressant un long rapport à l’empereur à la suite des mêmes événemens, annonçait qu’il suffirait de lancer quelques brûlots pour incendier la flotte anglaise, et qu’alors on pourrait « ouvrir sur les navires le feu des batteries, déployer la terreur céleste et exterminer l’ennemi sans perdre un seul homme. » C’est ainsi que les documens officiels écrivaient l’histoire !

Cependant l’empereur Tao-kwang fut un moment tenté d’ouvrir les yeux, lorsque l’escadre anglaise, ayant à bord le plénipotentiaire Elliot, entra résolument dans le golfe de Petchili, et vint-mouiller à l’embouchure du Pei-ho. Jamais armée ennemie ne s’était aventurée si près de la capitale. Les projets d’extermination furent ajournés. Le mandarin Kichen, qui remplissait alors les fonctions de premier ministre, et qui s’était toujours montré hostile aux mesures de violence prises par le vice-roi de Canton, voyait enfin triompher sa politique, et il fut écouté avec empressement lorsqu’il s’offrit à éloigner les Anglais par les voies de la conciliation. Il fallait à tout prix délivrer l’empereur d’un voisinage incommode. Kichen réussit. Ce résultat doit être assurément compté au nombre des plus beaux succès diplomatiques que la ruse et le mensonge aient jamais remportés. Le mandarin se garda bien de faire connaître à l’empereur les exigences des Anglais, et à M. Elliot les décisions superbes que la cour de Pékin se croyait encore le pouvoir de formuler en face des barbares. Il supprima de part et d’autre les correspondances qu’il avait mission d’échanger; il arrangea à son gré les demandes et les réponses, — laissant croire au plénipotentiaire anglais que ses réclamations étaient favorablement accueillies, et qu’il y serait fait droit à Canton, — persuadant à l’empereur que les barbares étaient repentans et soumis, et qu’ils sollicitaient humblement la faveur de rentrer en grâce. En un mot, il sut mentir tant et si bien, que les Anglais commirent la faute de quitter le Petchili, et que l’empereur, charmé de la fuite de ses ennemis, s’empressa de conférer à Kichen ses pleins pouvoirs pour continuer à Canton l’œuvre de paix si heureusement commencée.

Cependant sur les rives du Chou-kiang les affaires changèrent de face. Le rusé mandarin comptait traîner les négociations en longueur, et il espérait que tout se passerait en conférences. Il avait vu l’escadre anglaise d’assez près pour n’être point désireux de faire parler la poudre. Par malheur pour Kichen, les dispositions de la populace de Canton étaient bien différentes : la découverte d’un complot tramé contre les Anglais amena l’attaque et la destruction des forts de Chuenpi, et Kichen, pour conjurer de plus grands malheurs, se vit obligé de signer avec le capitaine Elliot une convention par laquelle il accordait aux Anglais une indemnité de six millions de dollars et la cession de l’île de Hong-kong, en échange de l’abandon de Chusan.