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est un signe de culture riche et éclairée plutôt que de grande culture. Petits et moyens fermiers en comprennent les avantages tout aussi bien que les grands, soit en Angleterre, soit partout où la culture est aussi avancée ; on ne les trouve méconnus que par les cultivateurs pauvres et ignorans. Or, si la culture anglaise est riche, elle n’est pas moins éclairée et habile. Les fermiers anglais, même les plus petits, ont toute sorte de moyens de se tenir au courant des moindres progrès qui se font dans leur art. Ils mettent volontiers leurs enfans en apprentissage chez ceux d’entre eux qui se distinguent par une habileté particulière, et ils ne craignent pas de payer pour eux des pensions qui feraient reculer les nôtres bien loin. Ils tiennent de fréquens meeting où ils se communiquent mutuellement le résultat de leurs réflexions et de leurs expériences. Ces concours d’animaux et de charrues, que le gouvernement est obligé d’instituer et de défrayer en France, sont établis depuis longtemps sur une foule de points du royaume-uni au moyen de souscriptions particulières. Les plus grands seigneurs, à commencer par les princes du sang et par le mari même de la reine, tiennent à honneur de présider ces concours et ces assemblées agricoles, de prendre part aux discussions et de disputer les prix. Une foule de journaux spéciaux en rendent compte, et les grands journaux eux-mêmes enregistrent avec soin toutes les nouvelles qui peuvent intéresser la première des industries. Pas plus que la pauvreté, l’ignorance n’est considérée dans ce pays-là comme l’attribut de la profession agricole.

En France, la culture n’est pas une industrie à proprement parler ; on y compte peu de fermiers, et la plupart de nos cultivateurs, qu’ils soient propriétaires, fermiers ou métayers, n’ont qu’un capital insuffisant. Voilà nos vrais maux. On peut, avec quelque apparence de raison, en accuser la petite propriété. Un cultivateur qui possède quelque chose aime mieux en général, chez nous, être propriétaire que fermier. C’est le contraire qui arrive en Angleterre. Il y avait autrefois beaucoup de petits propriétaires dans ce pays ; ils formaient une classe importante dans l’état ; on les appelait les yeomen, pour les distinguer des gentilshommes campagnards, qu’on appelait des squires. Ces yeomen ont disparu à peu près complètement, et il faut bien se garder de croire que ce soit une révolution violente qui les ait détruits. Ils se sont transformés volontairement, un à un, sans que le moment précis de leur disparition puisse être indiqué nulle part. Ils ont vendu leurs biens pour se faire fermiers, parce qu’ils ont trouvé qu’ils y avaient plus d’avantage, et comme ils ont presque tous réussi, la plupart de ceux qui survivent ne tarderont probablement pas à faire de même.

Pourquoi beaucoup de nos petits propriétaires ne prennent-ils pas le même parti ? C’est qu’ils n’y ont pas encore un intérêt immédiat.