Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/1141

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des exceptions éclatantes, mais telle est la règle. On peut même trouver, non pas précisément en Angleterre, mais dans une possession anglaise, l’Ile de Jersey et ses annexes, un pays où fleurit exclusivement la petite propriété. Les lois normandes sur la succession, qui prescrivent le partage égal des terres entre les enfans, n’ont pas cessé d’y être en vigueur. « L’effet inévitable de cette loi, dit David Low, agissant depuis plus de neuf cents ans dans les étroites limites de cette petite île, a été de réduire tout le sol du pays en petites possessions. À peine pourrait-on trouver dans l’Ile entière une seule propriété de 40 acres (16 hectares) ; beaucoup varient de 5 à 15, et le plus grand nombre a moins de 15 acres (6 hectares). » L’agriculture en est-elle plus pauvre ? Non assurément. La terre ainsi divisée est cultivée comme un jardin ; elle est affermée en moyenne de 4 à 5 livres sterling par acre (de 260 à 300 fr. par hectare), et, dans les environs de Saint-Hélier, jusqu’à 8 et 12 livres (de 500 à 750 francs par hectare).

Malgré ces fermages énormes, les cultivateurs vivent dans une abondance modeste sur des étendues qui seraient insuffisantes partout ailleurs pour faire subsister le laboureur le plus pauvre. Ajoutons que le sol de Jersey est granitique et maigre, et qu’il a fallu beaucoup d’industrie pour le rendre aussi productif. L’aspect de l’île a quelque chose de charmant : on dirait une forêt d’arbres fruitiers, entrecoupée de prairies et de petits champs cultivés, avec une foule d’habitations élégantes tapissées de vignes et de myrtes, et des sentiers qui serpentent sous les ombrages. David Low remarque en même temps que le morcellement du sol, qui semblerait devoir être infini à la suite de tant de générations, dans une île aussi petite et aussi populeuse, s’est limité de lui-même en vertu d’arrangemens pris dans les familles pour l’arrêter quand il devient onéreux. Cet exemple doit rassurer de plus en plus ceux qui craignent de voir le sol français tomber en poussière.

En France, il y a aussi deux catégories de propriétés, les moyennes et les petites. Les pays où la culture est le plus avancée sont en général ceux où dominent les petites. Tels sont les départemens du Nord et du Bas-Rhin, et presque tous les cantons riches des autres départemens. C’est par la division îles propriétés que le progrès se manifeste habituellement chez nous. Ainsi le veut le génie national. Le même fait se reproduit dans d’autres pays, en Belgique, dans l’Allemagne rhénane, dans la Haute-Italie, et jusqu’en Norvège. Partout ailleurs qu’en Angleterre, c’est-à-dire en Espagne, en Allemagne, en Hongrie, les très grandes propriétés ont fait plus de mal que de bien à l’agriculture. Le seigneur féodal vit en général loin de ses domaines ; il ne les connaît que par les revenus qu’il en retire,