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De même qu’on s’exagère en général la concentration de la propriété en Angleterre, de même on s’exagère l’influence que la grande propriété y exerce sur le développement de l’agriculture. Cette influence est réelle comme l’existence même de la concentration ; mais, comme elle aussi, elle a ses limites. Qui dit grande propriété ne dit pas toujours grande culture. Les plus grandes propriétés peuvent se diviser en petites exploitations. Il importe assez peu que 10,000 hectares soient possédés par un seul, s’ils se partagent, par exemple, en 200 fermes de 50 hectares chacune. Nous verrons tout à l’heure, en traitant de la culture proprement dite, que c’est en effet ce qui arrive le plus souvent ; l’influence de la grande propriété est alors à peu près nulle. Reconnaissons cependant qu’à prendre les choses dans leur ensemble, la grande propriété est favorable à la grande culture, et que sous ce rapport elle a une action directe sur une partie du sol anglais ; cette action est-elle aussi féconde que l’ont cru quelques publicistes ? et tout ce qui n’est pas elle est-il aussi nuisible qu’ils l’ont affirmé ? Voilà la question.

Nous avons vu que dans le royaume-uni il y a en quelque sorte deux catégories de propriétés : les grandes et les moyennes. Les grandes ne s’étendant que sur un tiers du sol, et une portion de ce tiers étant divisée en petites fermes, il s’ensuit que l’action de la grande propriété ne se fait sentir que sur un quart environ. Ce quart est-il le mieux cultivé ? Je ne le crois pas. Les terres immenses de l’aristocratie britannique se trouvent principalement dans les régions les moins fertiles. Le plus grand propriétaire foncier de la Grande-Bretagne, le duc de Sutherland, possède d’un seul bloc plus de 300,000 hectares dans le nord de l’Ecosse, mais ces terres valent 50 francs l’hectare ; un autre grand seigneur, le marquis de Breadalbane, possède dans une autre partie du même pays presque autant de terres qui ne valent guère mieux. En Angleterre, les vastes propriétés du duc de Northumberland sont situées en grande partie dans le comté de ce nom, un des plus montueux et des moins productifs ; celles du duc de Devonshire, dans le comté de Derby, et ainsi de suite. C’est surtout dans de pareils terrains que la grande propriété est à sa place ; elle seule peut y produire de bons effets.

Les parties les plus riches du sol britannique, les comtés de Lancaster, de Leicester, de Worcester, de Warwick, de Lincoln, sont un mélange de grandes et de moyennes propriétés. Dans le plus riche de tous, même au point de vue agricole, celui de Lancaster, c’est la moyenne et presque la petite propriété qui dominent. En somme, on peut affirmer, surtout si l’on fait entrer l’Irlande dans le calcul, que les terres les mieux cultivées des trois royaumes ne sont pas celles qui appartiennent aux plus grands propriétaires. Il y a sans doute