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fond des choses, qu’il nous suffise d’adresser une ou deux questions à leur érudition et à leur bonne foi.

Je leur demanderai qui a mis au monde la philosophie moderne ? C’est apparemment Descartes. Or l’auteur du doute méthodique était-il par hasard un esprit esclave des préjugés ? Reprocherait-on un excès de timidité à l’homme qui, avec de l’étendue et du mouvement, se chargeait de faire le monde ? Eh bien ! ce Descartes, ce novateur intrépide, ce spéculatif audacieux, sur quel principe a-t-il établi toute sa métaphysique ? Sur un fait de conscience : je pense, donc je suis. Et quel est le fondement de sa théodicée ? Encore un fait de conscience : cette idée de l’être tout parfait que chacun de nous trouve au fond de soi, dans le sentiment de son imperfection et de ses limites. Où aboutit enfin cette méthode ? A un Dieu profondément distinct de l’univers, à un Dieu créateur, à un Dieu intelligent et bon qui a fait l’homme, comme parle Descartes, à son image et semblance, et dont la contemplation, comme il dit encore, nous fait jouir du plus grand contentement que nous soyons capables de ressentir en cette vie.

Dira-t-on que Descartes vivait dans une société chrétienne, au siècle de la règle et de l’autorité ? Je consens à reculer de deux mille ans, bien au-delà du christianisme, et je demande aux idéalistes de l’Allemagne s’ils veulent bien consentir à reconnaître Platon pour maître, Platon, le père de l’idéalisme et le type des libres génies. Or ce grand métaphysicien avait appris à l’école de Socrate que le premier pas en philosophie, c’est de confesser son ignorance, et le second, de s’étudier soi-même. Est-ce lui qui se serait flatté de saisir dans toutes les profondeurs de son essence ce principe premier dont il n’ose parler qu’en tremblant au vie livre de la République, « ce Bien que toute âme poursuit, en vue duquel elle fait tout, — ce Bien dont elle soupçonne l’existence, mais avec beaucoup d’incertitudes, et dans l’impuissance de comprendre nettement ce qu’il est ?… »

Et puisque le principe des choses est plein de mystères, comment se flatter d’apercevoir sans voile la génération de l’univers ? Écoutez Timée : «… J’essaie de parler des dieux et de la formation du monde, sans pouvoir vous rendre mes pensées dans un langage parfaitement exact et sans aucune contradiction. Et si mes paroles n’ont pas plus d’invraisemblance que celles des autres, il faut vous en contenter et bien vous rappeler que moi qui parle et vous qui jugez, nous sommes tous des hommes…[1]. »

Si maintenant je continuais à citer le Tïmée pour y trouver l’idée que Platon s’est formée du principe de l’univers ; si je décrivais ce Dieu dont l’attribut suprême est la bonté, qui fait le monde non par

  1. Ptaton, trad. fr., t. XI, p. 126.