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phénomènes de conscience. Pour qui sait voir dans un germe tous ses développemens à venir, le spiritualisme est là. En effet, qui a posé les principes d’une réfutation radicale de Condillac et de Cabanis, avant que M. Royer-Collard n’engageât avec tant d’éclat contre le sensualisme sa polémique éloquente et victorieuse ? C’est celui que Royer-Collard appelait son maître, c’est Maine de Biran.

Le second principe de la philosophie française, c’est que le type primitif de toute existence nous est fourni dans le sentiment de l’activité personnelle. C’est par là que Maine de Biran arrêtait à son premier pas le système qui fait sortir tout l’homme de la sensation passive, vainement transformée en intelligence et en volonté par une analyse artificielle. Par là, il rattachait le spiritualisme nouveau à celui de Leibnitz, et coupait une des racines du panthéisme, puisqu’il est logiquement impossible – à une philosophie qui pose la personnalité humaine comme un principe fondamental - de la réduire à une forme accidentelle et passagère de l’être en soi. Enfin, si la philosophie française, partie de la psychologie profonde, mais un peu étroite de Maine de Biran, a pris en un génie plus vaste un vol plus libre vers les sublimes régions, quel a été son caractère propre, son principe toujours proclamé et fermement maintenu ? C’est de rester fidèle à l’observation, et, dans ses inductions les plus lointaines sur le principe mystérieux des choses, de ne jamais perdre de vue la conscience ; c’est de ne s’élever de l’homme à Dieu que pour revenir sans cesse de Dieu à l’homme, de peur de se laisser séduire à cette ontologie ambitieuse et vaine qui se perd en ses abstractions, loin de l’humanité, de la nature et de la vie.

Nous croyons avoir le droit de conclure que la philosophie française est dans son origine, dans sa méthode, dans son caractère général une philosophie spiritualiste, et par conséquent qu’il n’y a rien de plus superficiel et de plus factice que cet antagonisme imaginé entre les besoins religieux et les besoins philosophiques de notre société, laquelle n’a pas apparemment deux âmes contraires, mais une seule, également avide de science et de foi. Est-ce à dire qu’il n’y ait eu, dans le développement de la philosophie française à travers le demi-siècle agité qui est derrière nous, aucun écart, aucune déviation ? Nous n’entendons pas soutenir cela, et pourquoi aurait-on le moindre embarras à s’en expliquer ? Une école de philosophie n’est pas une église, et je ne connais, pour un homme usant librement de sa raison, qu’un seul moyen d’être infaillible : c’est de se taire. Peut-être est-ce là le genre d’innocence que nos adversaires nous souhaiteraient ; mais le conseil n’est pas assez désintéressé pour qu’on y souscrive. Pour moi, convaincu que la philosophie française est dans les grandes voies du sens commun et de la vérité, mais convaincu