Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/1131

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que ce sont là deux calomnies ; mais nous aimons mieux supposer la bonne foi dans nos adversaires, et nous croyons savoir ce qui a pu tromper des esprits même sincères et excellens.

Quand on parle de la philosophie française au XIXe siècle, deux noms se présentent à l’esprit : le nom de Royer-Collard et celui de M. Cousin. Or il est d’abord parfaitement certain que Royer-Collard, si original par le tour et la qualité de son esprit, n’a pas eu en philosophie des idées originales : il n’a été, il n’a voulu être qu’un Écossais. D’un autre côté, il est également certain que M. Cousin, après avoir été initié par l’enseignement de Royer-Collard à la philosophie écossaise, s’aperçut bientôt qu’excellente pour réfuter Condillac, excellente aussi pour commencer la science, elle ne suffisait pas à tous les besoins de la pensée humaine, que sa circonspection allait jusqu’à la timidité, et que, passant du vigoureux génie de M. Royer-Collard en des esprits moins naturellement dogmatiques, elle pourrait incliner à une discrétion spéculative, à un esprit de réserve et de défiance qui n’est pas le doute, mais qui pourrait bien être la stérilité.

À ces deux faits certains, il faut en ajouter un troisième, c’est que M. Cousin est coupable d’avoir étudié avec intérêt et discuté le premier d’une manière approfondie les principaux systèmes de la philosophie allemande, celui de Kant, pour en donner une admirable réfutation, ceux de Schelling et de Hegel, pour leur emprunter des vues pleines de grandeur, les unes aussi solides que neuves et hardies, les autres plus contestables, et finalement pour s’en séparer sur les points essentiels.

Voilà le vrai ; vienne maintenant l’esprit de parti avec son cortège ordinaire : la légèreté qui croit sur parole, la haine qui envenime tout, la prévention qui obscurcit le jugement et la colère qui l’aveugle ; unissez toutes ces puissances conjurées, et vous verrez apparaître ce monstre formidable dont on effraie l’imagination des faibles, sous le nom de panthéisme de la philosophie française.

Pour se délivrer de ce fantôme, il eût suffi à des esprits calmes et de bonne foi de faire quelques remarques bien simples. Et d’abord, l’origine de la nouvelle philosophie française remonte plus loin que M. Cousin, plus loin que M. Royer-Collard ; elle est dans un penseur moins célèbre, mais d’une originalité et d’une profondeur singulières ; je veux parler de Maine de Biran. Je n’ai pas entendu dire qu’on l’ait encore accusé de panthéisme ; mais si cela n’a pas été dit, cela se dira, car enfin, puisque la philosophie française est coupable, comment Maine de Biran serait-il innocent, lui qui a donné à cette philosophie la méthode qui la constitue, la méthode psychologique ?

Depuis Maine de Biran, le premier principe de la philosophie française, c’est la séparation profonde des phénomènes extérieurs et des