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sur la vie organique, en reproduit le mouvement sur une échelle plus vaste et plus complète. Or, si l’univers et l’homme manifestent sous des formes différentes une même pensée, comment expliquer cette harmonie autrement que par une unité suprême qui se manifeste à des degrés divers dans la série infinie des existences ? De là un système plein de hardiesse, où M. Schelling a répandu les trésors de son érudition de savant et de son imagination de poète, système resté toujours un peu vague, qui associe de grandes vérités à de grandes erreurs, mais qui, dans son ensemble, est tout pénétré d’une inspiration religieuse ; c’est au point que l’école de Munich, dont M. Schelling est la gloire, et d’où sont sortis tant de physiciens idéalistes, tant d’artistes purs et sévères, n’a pas tardé à glisser, avec Baader et Görres, sur les pentes de la mysticité. Et maintenant, faut-il déclarer sans détour ma pensée sur le système célèbre qui a succédé en Allemagne à celui de M. Schelling ? Je commencerai, afin d’être juste, par rappeler que, de l’aveu de tout le monde, la philosophie de Hegel est une des plus vastes combinaisons d’idées qui soient sorties de l’esprit humain ; je ferai remarquer ensuite que son trait distinctif est de chercher en toutes choses une loi nécessaire et absolue, de sorte que confondre la théorie hégélienne avec le sensualisme, c’est une criante injustice. Cela dit, je conviendrai que le système de Hegel me paraît reposer, comme celui de Spinoza, sur une illusion trop familière aux génies doués d’une grande puissance d’abstraction : c’est que l’esprit humain est capable de reproduire en ses spéculations l’ordre universel et absolu des choses, prétention exorbitante qui ne serait légitime que si l’intelligence de Dieu et la conscience humaine pouvaient s’identifier. Et voilà comment ce système audacieux, que le génie du maître maintenait à une certaine hauteur spéculative, ayant eu le malheur de tomber dans des esprits violens et médiocres, la philosophie allemande, si pure dans Fichte, si noble dans M. Schelling, si imposante encore dans M. Hegel, s’est précipitée aux derniers excès de l’athéisme, et a soulevé contre toute philosophie la plus violente et la plus injuste réaction.

J’arrive au mouvement philosophique de la France, à celui qui nous est le mieux connu et qui nous touche de plus près. Ici la pure lumière du spiritualisme brille avec une telle évidence, que, pour la méconnaître, il ne faut certes pas un aveuglement ordinaire. On l’a pourtant niée avec intrépidité. La philosophie française a été accusée de scepticisme, et comment oublier qu’une inculpation si injuste a troublé les derniers momens et outragé la tombe à peine ouverte du noble Jouffroy ? Mais le mot de scepticisme n’est pas celui qui a le plus retenti et trouvé le plus d’oreilles crédules. Cette fortune était réservée au mot panthéisme.

Scepticisme, panthéisme, nous aurions le droit de dire sans ménagement