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la polémique s’acharner dans l’ombre sur les restes d’un scandale épuisé ; laissons-les se mettre en règle, comme ils le pourront, avec leurs supérieurs, dont la sagesse sait au besoin les avertir et les châtier : aussi bien des plumes habiles et non suspectes de complaisance pour les philosophes ont récemment fait justice de ces témérités puériles avec une force de raison qui nous dispense de rien ajouter.

La renaissance religieuse a des interprètes plus traitables. Ce sont des esprits initiés par l’étude philosophique de l’histoire moderne ou par le gouvernement des grandes affaires aux besoins de notre société. Ils la connaissent trop bien pour ne pas savoir qu’en matière de croyances religieuses, la philosophie, sous le nom de : liberté de conscience, s’est incorporée pour jamais à nos institutions et à ; nos mœurs. Ce ne sont pas eux qui regrettent que ; Luther et Calvin n’aient pas eu le sort de Jean Huss, ou Descartes la destinée de Giordano Bruno, et cependant à la suite de nos récentes agitations ces graves observateurs, épouvantés sans doute de la puissance de dissolution qui a été donnée aux abus de l’esprit, se sont laissés aller à penser et à dire que la philosophie, livrée à elle-même, n’enfante guère que doute, orgueil et anarchie, qu’inutile au service du vrai, désastreuse au service du faux, elle doit céder la place à la foi, seule capable de régénérer la société. À leurs yeux, la question se pose nettement aujourd’hui entre deux influences contraires, le surnaturalisme et le rationalisme : — d’un côté, toutes les communions religieuses, que ces vastes esprits couvrent d’une égale sollicitude, jusqu’au point même de paraître les envelopper (je demande pardon du mot à leur orthodoxie) dans une sorte d’éclectisme supérieur ; — de l’autre côté, toutes les influences philosophiques, pyrrhoniens, athées, panthéistes, déistes, tout cela, volontiers confondu, ou du moins condamné à une commune stérilité. Voilà où le spectacle des ravages de l’esprit de doute et de négation a conduit ces intelligences attristées, ces maîtres de la parole et de la science, qui formaient il y a vingt ans notre jeunesse au mâle exercice de la pensée libre. D’où vient donc l’ascendant mystérieux de ce courant qui entraîne et qui dompte les plus fermes esprits ? Pour en apprécier le caractère et la portée, il faut en chercher l’origine.

Le principe de la renaissance religieuse n’est pas difficile à découvrir : il est dans le matérialisme et le scepticisme du siècle dernier. À Dieu ne plaise que je vienne faire, le procès à une grande époque de l’esprit humain ! Aussi bien, avant de dire mon avis sur la philosophie du XVIIIe siècle, je demande à la définir. Est-elle tout entière dans Helvétius, d’Holbach et Lamettrie ? Évidemment non. Joignez à ces pauvres esprits des hommes déjà bien supérieurs, David Hume et Condillac, Diderot, D’Alembert, Condorcet ; vous n’avez encore qu’une