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d’un certain pays ; mais point du tout : il ne se produit pas seulement en France et chez les nations catholiques ; c’est un mouvement européen. Il change de noms suivant la diversité des peuples ou des communions religieuses ; c’est le piétisme à Berlin, le puseysme à Oxford et à Londres, le méthodisme à Genève, et c’est trop souvent l’ultra-montanisme à Paris. Toutefois, sous ces formes changeantes, vous trouvez le même esprit intérieur ; je veux dire un retour général des âmes vers une autorité surnaturelle et infaillible, et par suite un espace de plus en plus étroit laissé à la raison et à la liberté humaines.

Je crois avoir décrit le mouvement religieux avec une parfaite sincérité. Reste à le comprendre.

Si on voulait en croire certains écrivains célèbres, rien ne serait plus simple : ils y voient la sentence capitale de la philosophie, et comme ces esprits ingénieux joignent à tous les dons brillans de l’imagination et de l’éloquence une remarquable force de logique, ils ont compris qu’étant si sévères pour la philosophie, ils ne pouvaient pas l’être moins pour la société moderne, qui en est l’ouvrage. De proche en proche, ils en sont venus à répudier en bloc les trois derniers siècles, de sorte qu’à les en croire, du jour où l’esprit nouveau a produit Raphaël et Michel-Ange, Shakspeare et Milton, Pascal et Bossuet, Corneille et Molière, Descartes et Leibnitz, le monde est entré en pleine décadence. Dans cette conviction commune, les uns, ne voyant pas de remède naturel au mal, ont pris le parti de désespérer de la civilisation et de soutenir qu’en ce monde de ténèbres, Satan, c’est-à-dire l’esprit philosophique, doit être vainqueur de Dieu. D’autres, d’une humeur moins chagrine, d’une logique moins inflexible, d’un esprit plus ouvert et plus généreux, se souvenant que leur ardeur pour la religion fut contemporaine de leur jeune enthousiasme pour la liberté, se sont détournés de ce pessimisme de théorie : inconséquence généreuse à laquelle nous ne pouvons qu’applaudir, en attendant avec patience qu’un goût si noblement persévérant pour la discussion ramène ces ennemis de la philosophie à des sentimens plus doux.

Au surplus, nous n’avons dessein de discuter avec aucun de ces esprits extrêmes, surtout quand l’éblouissement du paradoxe et les fumées de la passion les emportent jusqu’à soutenir par exemple que toute vérité philosophique est dans saint Thomas, qui, dans sa modestie, croyait la tenir d’Aristote, ou quand, plus mal inspirés encore, ils engagent une croisade burlesque contre les pères de la civilisation humaine, Homère, Pindare, Platon, Virgile, et travestissent en fléaux dévorans ces chantres divins dont le peintre de l’École d’Athènes associait les images aux plus sublimes symboles du culte chrétien dans les fresques immortelles du Vatican. Mais laissons ces enfans perdus de