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LA PHILOSOPHIE


ET


LA RENAISSANCE RELIGIEUSE.




On répète volontiers partout que la philosophie s’en va. S’agit-il de savoir si elle est plus ou moins coupable, on discute un peu ; mais on ne discute pas pour déclarer qu’elle est désormais parfaitement inutile. Juste ou non, l’arrêt est spécieux pour qui n’observe l’esprit général de notre temps que dans ses manifestations les plus éclatantes. Quels sont en effet, depuis un demi-siècle, les phénomènes sociaux qui frappent tous les esprits ? Le premier que je veux signaler, c’est l’immense développement des intérêts matériels, phénomène d’autant plus remarquable qu’il a sa racine dans les élémens mêmes de la société moderne, telle que l’a faite la révolution de 89. Oui, qu’on s’en afflige ou qu’on s’en réjouisse, il faut dire avec un illustre orateur de la restauration que la démocratie coule à pleins bords. À tous les degrés de la vie sociale, c’est une aspiration ardente, unanime, infatigable, vers le bien-être et l’aisance, vers la richesse et le luxe, vers l’influence et le pouvoir, en un mot vers tous les biens de ce monde. Voilà un premier fait, aussi manifeste que la clarté du jour, et qui semble indiquer dans l’âme de notre société moderne des dispositions peu philosophiques. Que faut-il à une société éprise de bonheur matériel, passionnée pour les travaux et les avantages de l’industrie ? Des ingénieurs, des physiciens, des chimistes, tout au plus quelques mathématiciens : elle n’a que faire de philosophes. Voulez-vous vous enrichir ? défiez-vous de la métaphysique. À quoi bon lire Platon ? il ne vous apprendrait pas l’art d’amasser des richesses, et puis, prenez garde à cet enchanteur, il pourrait bien vous les faire mépriser.