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inspiration morale. Ici encore, il va sans dire que je place Lady-Bird au-dessus de Villette. J’admire sans doute cette fière apologie de l’énergie intérieure de l’âme humaine dont Villette est remplie. S’il y a dans le monde beaucoup de natures qui se suffisent ainsi à elles-mêmes pour arriver à l’accomplissement du devoir et au repos du cœur, j’en suis bien aise pour elles, mais je ne leur porte pas envie. Je crains d’ailleurs que ces héroïsmes de la conscience individuelle, ces victoires stoïques soient fort rares, et que, sauf un très petit nombre d’exceptions, l’on ne puisse attribuer ces vertus-là qu’au tempérament et aux circonstances. La morale de lady Fullerton me paraît, dans son humilité, bien plus universelle et bien plus humaine. Les douleurs, les douleurs infinies où aboutissent l’orgueil et le désir, voilà le critérium de la vérité morale qui force les vrais romanciers et les grands poètes, et tous ceux qui ont étudié la pathologie des passions humaines, à conduire l’homme suppliant et humilié aux pieds de Dieu. Telle est la conclusion que lady Fullerton dégage de son œuvre avec une sincérité, une conviction, une ferveur entraînantes, et il me semble impossible de l’en louer suffisamment.

Je me trompe. Je me rappelle, dans Lady-Bird, une juste et fine réflexion sur les éloges, qui ne saurait venir plus à propos : « Il y a, dit lady Fullerton, une joie inspirée par l’éloge qui n’a rien à démêler avec la vanité ; c’est une sorte de sympathie réclamée impérieusement par tous ceux qui sont doués de quelque génie : c’est la brise qui évente la flamme, l’huile qui nourrit la lampe. L’éloge, lorsqu’il est sincèrement donné et gracieusement reçu, produit souvent une sorte de bonheur humble et timide aussi éloigné de la vanité que l’exaltation d’une mère à la beauté de son enfant diffère du sentiment orgueilleux qu’elle aurait de la sienne. » Ce bonheur humble et timide, lady Fullerton doit l’avoir souvent éprouvé depuis la publication de Lady-Bird, car chacun de ses lecteurs serait heureux, j’en suis sûr, de pouvoir, comme moi, lui témoigner publiquement la sympathie reconnaissante qui suffit à sa modestie.


EUGENE FORCADE.