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fut sa toilette : elle ne connaissait rien des modes du jour. Sa mère voulut la parer. Elle ouvrit ses vieux écrins ; elle lui mit aux oreilles des boutons de diamans, aux bras des bracelets moresques, à la main un précieux éventail richement colorié, et lui donna une leçon d’éventail à l’espagnole ; elle plaça sur sa gracieuse robe de mousseline de l’Inde une mantille de dentelle, et ne la laissa partir qu’après l’avoir admirée dans sa pittoresque beauté. Mais le goût de sa mère, depuis si longtemps morte au monde, ne rassurait pas Gertrude. Je ne sais plus quelle est la femme qui aurait donné la moitié de sa vie pour la joie de se trouver belle devant sa glace. Gertrude aurait donné la moitié de sa beauté pour se savoir mise comme les autres. Enfin elle arriva moitié palpitante, moitié défiante. Elle fut vite rassurée : sa toilette, il est vrai, ne ressemblait pas aux autres, mais elle était dans l’harmonie de sa grâce. Gertrude sentit son âme fleurir dans cette élégante réunion de jeunes hommes et de jeunes filles. Le héros de la journée, le jeune Apley, s’empara de cette romantique sauvage comme du plus beau bouquet de sa fête. Les grands chanteurs italiens étaient venus de Londres pour le concert ; Gertrude s’enivra de musique. Elle rendit le courage, par une de ces irrésistibles cajoleries, magie féminine dont le talent timide a souvent besoin, à Maurice, qui fut couvert d’applaudissemens. Pour comble de bonheur, le vieil abbé, appelé au lit d’un malade, fut obligé de confier Lady-Bird à la maîtresse de la maison, et par conséquent laissa la cage ouverte à l’oiseau du bon Dieu. Après le concert, le bal allait commencer. Apley papillonnait autour d’elle.


« - Voulez-vous valser avec moi, miss Lifford ?

« La rougeur monta aux joues de la jeune Espagnole, et en colora les riches teintes olivâtres.

« — Je ne peux pas valser, dit-elle, je ne sais pas.

« — Quoi ! n’avez-vous jamais essayé ?

« — Non. Croyez-vous que l’on danse à Lifford-Grange ?

« — Oh ! vous danserez naturellement, j’en suis sûr, tout comme vos cheveux ondulent naturellement. Je le vois bien, car le vent, en les frappant ne fait que les friser davantage. Ces boucles qui se sont échappées des nattes derrière votre tête n’étaient pas faites pour onduler ; avouez-le.

« — Oh ! rien ne va comme il faut en moi, répondit-elle, et saisissant les deux boucles rebelles, elle les tira comme pour les punir de leur inconduite, et les rejeta en arrière, les laissant flotter sur son cou. Allez danser, monsieur Apley. Je vous regarderai, et peut-être j’apprendrai.

« — Venez avec moi, lui dit-il avec vivacité ; il n’y a personne dans la galerie. Je vous donnerai une leçon, ce sera l’affaire d’une minute.

« Il lui donna le bras, et ils s’envolèrent plutôt qu’ils n’allèrent à travers les salons jusqu’à celui où avait eu lieu le concert. Sur l’appui d’une croisée, Maurice était assis dans une attitude rêveuse. Il tressaillit quand ils entrèrent dans le salon, et se remit