monde que Dieu a fait, que l’homme a orné, que le génie décrit et que l’imagination rêve ! Londres, non tel que vous l’avez vu, Mary, de la fenêtre d’une petite maison écartée, dans une rue solitaire, dans son habit de travail, mais Londres avec son luxe, sa richesse, sa cour, son parlement et ce que Charles Lamb appelle sa poésie ; Paris avec son brillant éclat ; l’Italie avec son ciel lumineux, ses tableaux et ses ruines ; les Alpes avec leurs neiges, la mer avec ses tempêtes ; la politique, la littérature, les théâtres, la société, et tout ce qui change, vit, respire, s’agite ; ce monde — que j’entrevois dans mes lectures, que je poursuis de mes désirs, et dont, hélas ! je ne jouirai jamais ! »
Maurice avait payé sa bienvenue dans les châteaux par des leçons de chant et de piano. Grâce à l’intercession de sa mère, Gertrude avait obtenu de recevoir des leçons de Maurice. Pour Gertrude, l’artiste était un poète à l’aide duquel elle remplissait et colorait les esquisses qui flottaient sur son imagination ambitieuse. Pour Maurice, âme amoureuse de la beauté, Gertrude était une forme idéale qu’il contemplait et caressait comme un motif de poésie. « Est-ce que je t’aime ? se demandait-il dans des vers familiers. Non, j’éprouve pour la terre et le ciel et la mer, et pour tout ce qui est beau dans la vie, le sentiment que j’ai pour toi. Est-ce que je t’aime ? Non, je contemple une rose, un lis, du même regard d’enchantement que je jette sur toi. Est-ce que je t’aime ? Non, mes oreilles au printemps sont aussi charmées du chant des oiseaux que de la musique de ta voix. Est-ce que je t’aime ? Non, les étoiles, le murmure des vents, le bruissement des vagues le soir, — les bosquets de citronniers embaumés ont pénétré mon âme d’un sentiment de beauté et d’amour aussi vif que celui que m’inspirent tes yeux ! » Maurice était indécis entre l’humble et douce Mary, cette sœur qu’il s’était accoutumé à regarder comme celle qui devait être un jour sa femme, et ce farouche et capricieux oiseau du bon Dieu que la société plaçait au-dessus de ses désirs ; mais un jour que Gertrude chantait avec passion au piano une bravura italienne devant son maître, qui l’admirait, M. Lifford parut à la porte, jeta son regard froid et vitreux sur les deux jeunes gens, et le lendemain le professeur de musique fut congédié. Gertrude dévora cette mortification avec une sourde colère. L’heure de l’émancipation sonna bientôt pour elle.
Une des châtelaines du voisinage, Mme Apley, allait donner une fête en l’honneur de la majorité de son fils. Toute la gentry du voisinage y serait. Maurice et Mary Grey devaient s’y trouver. Gertrude, qui n’avait jamais vu de fête, résolut d’y aller. M. Lifford reçut une invitation. Gertrude le supplia de la conduire ; il lui répondit par un refus ironique. Gertrude, désespérée, eut l’idée de recourir à sa mère.