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pour que la Hollande persistât sept années à refuser d’accéder aux vingt-quatre articles, et pour qu’elle ne s’y décidât en 1838 que sous le coup d’une ruine imminente, — c’est assurément faire preuve, ou de beaucoup de mauvaise foi, ou de beaucoup d’ignorance. Et, lorsqu’on songe à la carrière diplomatique ; que la Providence gardait aux hommes desquels émanaient alors ces reproches, on céderait vraiment à la tentation de les écraser sous ce contraste, si la pensée de leurs malheurs ne devait les protéger contre le souvenir de leurs injustices.

La résolution au service d’une pensée pacifique et l’audace dans la modération, tel fut le caractère constant de1 la politique d’un ministre qui, sans avoir ni l’instinct ni la mission des grandes choses, eut du moins l’inappréciable fortune de préserver son pays de grandes calamités. La même inspiration qui jetait une armée française en Belgique pour y prévenir un incendie européen, et qui plaçait le drapeau de la France à Ancône pour contenir l’Autriche sans l’attaquer, amenait sa flotte à forcer à coups de canon la barre du Tage. En Portugal, comme en Italie, la France imposait l’observation du droit des gens et des traités, sans dépasser même contre dom Miguel, malgré les incitations violentes de l’opposition, la mesure commandée par le respect des nationalités étrangères et des gouvernemens indépendans.

Mais c’était surtout dans l’administration intérieure que cette politique se déployait avec une fière rudesse. Toujours renfermé dans la légalité constitutionnelle, sachant demander néanmoins à la répression et à la loi tout ce qu’elles pouvaient donner, Casimir Périer renvoyait enfin aux perturbateurs du repos public la terreur qu’ils avaient si longtemps inspirée à la France. À Lyon, il mitraillait l’émeute qu’avait laissée grandir la complaisance d’une administration inspirée par l’esprit du cabinet précédent ; à Paris, il jetait résolument sa démission à la chambre qui, dans la nomination de son bureau, avait paru hésiter entre lui et M. Laffitte ; puis, sur l’annonce de l’entrée du prince d’Orange en Belgique, il reprenait spontanément son portefeuille, et conquérait, par ce double témoignage de désintéressement et d’énergie, une indestructible majorité. C’était là le gouvernement représentatif dans sa vérité et dans sa grandeur, tel que les deux Pitt l’ont montré à l’Angleterre, et tel qu’il nous est donné de l’y revoir encore lorsqu’un péril public y surexcite le sentiment national. Casimir Périer conquit l’opinion à sa pensée politique comme il avait reconquis le territoire à l’ordre et à la loi : il ne prit des armes que dans la constitution, mais il n’hésita pas à en faire un usage parfois terrible, ne redoutant point les haines et paraissant quelquefois les rechercher. S’il mourut à la peine, il mourut vainqueur, méprisant