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été le représentant naturel et presque nécessaire du gouvernement de juillet à cette première période ; par ses sentimens personnels, il donnait des gages à une royauté qu’il affectait de présenter comme son ouvrage, et par ses relations il en offrait de plus sûrs encore aux hommes qui l’avaient embrassée moins comme une institution définitive que comme une machine de guerre dressée contre l’ordre politique européen. Toutefois, du moment où la monarchie de 1830 avait conquis assez de force pour engager résolument la lutte contre les tendances contraires aux siennes, le ministère du 3 novembre devait disparaître par un double motif : il avait en effet cessé d’être utile, et il n’était plus assez fort pour s’imposer. Les acteurs changeaient avec la scène ; les événemens se pressaient, et l’on passait à la seconde phase, qui, sans être encore l’ère organique de la victoire, fut celle d’une lutte acharnée engagée avec confiance et conduite avec un infatigable courage.

Les grandes situations sont fécondes, et n’avortent jamais faute d’un homme. Rétablir en France la vie près de s’éteindre, arracher la nation à un parti qui ne proclamait pas même une idée pratique, et dont la seule pensée était, au fond, de la traîner frénétique et sanglante sur tous les champs de bataille de l’Europe, une telle œuvre ne pouvait être accomplie que par un bras fort, et réclamait encore plus de résolution que d’intelligence. Ce n’était pas là sans doute l’éclatante mission dévolue à ces êtres puissans qui ouvrent devant les peuples des horizons nouveaux, et les précipitent dans leurs destinées. En mars 1831, il ne s’agissait de fonder ni l’unité française avec Suger, Philippe-Auguste ou saint Louis, ni l’unité monarchique avec Richelieu, ni l’unité civile avec Napoléon : il s’agissait, pour la France, de reprendre plus que de changer le cours de sa vie, et de faire fonctionner avec sincérité les institutions politiques auxquelles l’avait accoutumée le gouvernement précédent. Hormis la propagande et la guerre qu’elle n’osait avouer, l’opposition ne possédait pas en propre une idée ; ses orateurs comme ses journaux étaient des outres dont les vents pouvaient déborder en tempête. Le parti gouvernemental n’était guère plus riche en théories originales et en nouveautés. Il laissait d’ailleurs, et ce fut son incurable infirmité, en dehors de ses préoccupations habituelles, certains intérêts moraux de l’ordre le plus élevé. Le côté religieux des questions politiques était à peine soupçonné dans ce temps-là ; atteinte et glacée par le scepticisme, la pensée politique ne s’agitait que dans une sphère restreinte, mais c’était assez pour stimuler des hommes de cœur qu’une tentative du résultat de laquelle dépendait le salut de la fortune publique et des fortunes privées, la reprise des transactions commerciales et du crédit, la sécurité rendue à tous les intérêts matériels,