Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/1070

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moins possible, lors même que par le jeu subit des révolutions on se trouvait participer à ses faveurs, prendre sa part à son budget et concourir personnellement à son action. C’était cette sorte d’hommes sceptique et hargneuse que la monarchie nouvelle se trouvait contrainte d’appeler pour une large part à l’exercice des fonctions publiques dans son administration et dans ses parquets ; c’était elle qui s’abritait dans le conseil sous le nom de certains personnages fort incapables d’imprimer par eux-mêmes une direction à la politique, mais plus propres que des révolutionnaires de profession à la maintenir dans cette situation équivoque qui livre un pays à toutes les tentatives de l’audace et à toutes les surprises du hasard.

Ces hommes-là répugnaient à la violence et plus encore à la faction ; mais leurs secrètes sympathies en rendaient le triomphe assuré. Personnellement honnêtes, ils réclamaient des mesures odieuses et ne protestaient contre aucun cynisme. Ils avaient l’instinct confus de l’incompatibilité de la guerre avec la liberté, et, sans la vouloir, ils rendaient la guerre inévitable par le concours qu’ils laissaient d’avance pressentir à tous les agitateurs européens. Sans force pour aider au bien, il en avaient moins encore pour résister au mal, et leur attitude déplorable préparait à la monarchie de 1830 la pire de toutes les situations, — celle où les gouvernemens s’affaissent moins sous les coups de leurs ennemis que sous leur propre faiblesse. Au ministère, des hommes antipathiques entr’eux par toutes leurs tendances ; en dehors des conseils, une sorte de lord-protecteur sous l’aile duquel se réfugiait la royauté sitôt que l’émeute hurlait aux portes de son palais, tel fut d’abord l’étrange gouvernement auquel les hommes de l’Hôtel-de-Ville permettaient à peine de s’appeler une monarchie.

Cependant, tandis que ces élémens inconciliables s’agitaient en se paralysant les uns les autres, la pensée destinée à préserver la société française se formulait nettement dans l’esprit du prince que la nécessité venait de sacrer roi. Un centre de gravité se préparait pour toutes les forces conservatrices et pacifiques, et le germe d’un pouvoir fort et régulier allait se développer au sein de cette dissolution universelle. Dès les premiers jours, Louis-Philippe avait perçu avec une pleine lucidité d’esprit le but à atteindre, et découvert à la fois les moyens et les obstacles. Des deux forces qui s’étaient un moment associées pour ériger un trône avec les débris des barricades, il en était une contre laquelle son règne ne pouvait être qu’un long combat. La faction populaire issue des souvenirs si bizarrement associés de la république et de l’empire n’avait alors qu’une seule croyance : la force ; qu’une seule aspiration : la guerre ; c’était à cette époque un parti de soldats bien plus que de démagogues. En 1830, le peuple