Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/1068

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lorsque le roi Charles X quittait le royaume, et que des masses armées s’abattaient sur Paris moins pour continuer la lutte que pour partager la victoire, le débat n’était plus entre deux monarchies, il était tout entier entre la monarchie et la république ; il était entre une société qui voulait vivre et une anarchie qui déjà la possédait à moitié. Cette monarchie ne sortit point d’un conciliabule de conjurés, mais de l’effroi de tout un peuple, dont le premier besoin, dans les grands périls publics, est de se chercher à tout prix un sauveur, La royauté fut acceptée par le prince dans le sens où elle lui avait été déférée par la nation, comme un service à rendre, un combat à livrer, une vie tout entière à dévouer aux soucis et aux poignards ; elle fut acceptée pour retarder de dix-huit ans un spectacle de honte et de douleur, en empêchant que le 28 juillet ne fût suivi d’un 24 février.

Sous la protection d’une légalité à grand’peine rétablie, la royauté de 1830 a été poursuivie, de son établissement à sa chute, par les hommes qui avaient poussé le roi Charles X à des témérités impossibles, en le laissant désarmé contre les suites inévitables de leurs folies. Ces inexorables accusateurs, que n’a désarmés ni l’exil ni la mort, ont dédaigné de tenir compte des extrémités où leurs propres théories avaient conduit la France, jetée par la crise de juillet entre les appréhensions d’une république qu’entouraient tous les souvenirs de la terreur et de la guerre - et l’impuissance traditionnelle d’un gouvernement de minorité dont leurs soupçons auraient bientôt fait un supplice au prince chargé de l’exercer. Vingt fois, durant le cours de dix-huit années, ce prince a déclaré à l’Europe et à la France qu’il n’avait jamais aspiré à la couronne, et qu’il ne l’avait acceptée que forcé et contraint par l’imminence du péril : n’y avait-il donc pas, du moins dans ces affirmations réitérées, matière à quelque hésitation et à quelque doute ? Lorsque, renversé par la tempête du trône sur lequel la tempête l’avait porté, le vieux roi de 1830 proclamait hautement que son droit, sorti d’un fait impérieux, mais transitoire, ne pouvait survivre aux circonstances qui l’avaient créé, et qu’il disparaissait avec elles, cette confession monarchique, répétée au seuil de l’éternité, ne devait-elle désarmer aucune haine, ni modifier aucun jugement ? Et fallait-il qu’entre deux interprétations possibles d’un grand événement historique, certains hommes persistassent à préférer celle qui sert leurs passions à celle qui servirait leurs doctrines et leurs intérêts ?