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un moment supporté par les autres comme fils d’un conventionnel, et la fatalité des circonstances rendait le concours au moins temporaire de ces hommes-là indispensable à la fondation d’un gouvernement régulier. La responsabilité des hommes politiques se mesure à leur part de liberté, et celle des fondateurs de la dynastie nouvelle fut bien plus restreinte qu’il n’est habituel de le reconnaître et de le confesser. Le petit-fils du roi Charles X patroné par un général républicain, porté aux Tuileries sur les bras de sa courageuse mère parée des couleurs nationales et sous l’escorte des héros des trois journées, ce rêve-là a pu défrayer quelques imaginations, mais il ne saurait devenir un texte sérieux d’accusations contre personne. La proclamation de M. le duc de Bordeaux n’était malheureusement possible, en face du gouvernement de l’Hôtel-de-Ville, qu’à la condition de livrer un combat dont l’issue était trop incertaine pour qu’il y ait lieu de s’étonner que la bourgeoisie ait préféré une transaction à une lutte, et cherché dans un changement de dynastie un moyen d’échapper à la république. Des Vendéens, sans doute, auraient affronté le péril devant lequel des marchands ont reculé ; mais il ne fallait pas s’attendre à ce que les croyances du Bocage animassent la rue Saint-Denis. L’avènement de la maison d’Orléans, érigé en théorie après la révolution consommée, n’a été au fond qu’un expédient sorti des terreurs d’un peuple aux abois. Le chef de la branche cadette fut préféré au représentant de la branche aînée non parce que cela agréait au salon de M. Laffite et aux rancunes de quelques personnages politiques, mais parce que la royauté de l’un fut jugée plus facile à faire accepter aux hommes de juillet que celle de l’autre, et parce que le combattant de Valmy sembla moins dépaysé sur un trône ombragé des couleurs de 92 que le petit-fils du vieux monarque qui emportait alors l’oriflamme dans l’exil. Si la France a ratifié l’acte de la capitale, c’est parce que, également alarmée de la perspective d’une longue régence et d’une crise sans issue, elle s’est plus inquiétée des périls du jour que des difficultés du lendemain. Sortie d’une délibération pleinement libre de la bourgeoisie, nous avons montré qu’une pareille résolution aurait été une grande faute politique ; — provoquée par la volonté du chef de la branche cadette, la révolution de juillet aurait été un odieux crime personnel, car l’usurpation réfléchie et spontanée de la couronne eût impliqué la violation flagrante de sermens cimentés par la reconnaissance et par le sang ; — mais pour peu que, répudiant les injustices comme les illusions des partis, on se replace par la pensée sous le coup des terribles nécessités du temps, on est, ce semble, conduit à reconnaître que les événemens exercèrent alors une pression égale, et sur la nation qui offrait la couronne, et sur le prince qui en acceptait le poids.