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être dans les voies de l’opposition. Si l’érection d’un nouveau trône pouvait caresser l’orgueil de certains Warwick de bourse, aspirant à faire un roi après avoir fait fortune ; si de rares esprits, fascinés par une date, désiraient d’appliquer à la France démocratique et catholique le programme de l’Angleterre aristocratique et protestante, ni ces rêves d’une vanité dorée, ni ce goût des imitations étrangères, n’avaient altéré sur ce point la rectitude du sens national. Après le retrait des ordonnances et l’abdication du roi Charles X, la bourgeoisie aspirait à rentrer dans la légalité bien plus qu’à en sortir, et elle aurait accepté avec joie une solution qui lui aurait apporté des inquiétudes de moins et des gages de sécurité de plus. Quiconque a suivi de près les transactions politiques de la première semaine d’août 1830 ne peut ignorer que tel aurait été le sentiment dominant parmi les députés réunis au Palais-Bourbon, si ceux-ci n’avaient pas dû compter avec d’autres passions, que celles qui les inspiraient eux-mêmes, et s’ils n’avaient pas subi la pression d’une force qui leur laissait les apparences bien plus que la réalité du pouvoir.

Les ordonnances de juillet avaient blessé au plus vif de leurs croyances politiques les classes auxquelles la charte de 1814 avait attribué la puissance électorale ; mais quelque ardentes que fussent ces colères, elles n’auraient pu prévaloir qu’après un certain temps contre la force militaire dont disposait le gouvernement royal, et elles étaient trop impatientes pour ne pas se chercher immédiatement des auxiliaires et des vengeurs, au risque de voir la pensée qu’elles exprimaient elles-mêmes promptement travestie et dépassée. La bourgeoisie appela donc le peuple dans la rue sans soupçonner qu’il y tiendrait bientôt plus de place qu’elle. Le peuple y descendit avec ses instincts, ses souvenirs, ses symboles, et, sans s’inquiéter de l’idée au nom de laquelle on l’avait d’abord provoqué au combat, il n’entendit servir que la pensée baptisée de son sang, et qu’il saluait obscure, mais puissante, dans les enivremens d’une lutte à mort. À peine l’insurrection eut-elle revêtu ce caractère, que la bourgeoisie en perdit la direction. Dès la seconde journée, il s’agissait beaucoup moins pour celle-ci d’en finir avec les vaincus que de contenir les vainqueurs, et si le gouvernement provisoire menaçait Rambouillet, c’est qu’il craignait l’hôtel-de-Ville. Les membres de la commission siégeant au palais municipal disposaient dans Paris de forces bien autrement formidables que celles qui suivaient l’impulsion des députés délibérant au palais législatif. Un fait provoqué on ne sait par qui, accompli on ne sait comment, était venu tout à coup changer le caractère de l’événement. Un drapeau qui n’avait point paru depuis le jour de nos grands revers venait d’être hissé sur Notre-Dame, et une commotion électrique avait fait tressaillir aussitôt la ville, l’Europe,