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eux-mêmes ont fourni des objections. MM. de Beaumont et de Tocqueville, dans leurs recherches sur le système pénitentiaire en Amérique, ont cité l’exemple du Connecticut, où l’instruction est répandue très libéralement, et où, à l’époque de leur voyage, les crimes avaient augmenté. On a dit dans le parlement britannique que, malgré l’essor imprimé à l’instruction du peuple, le chiffre des crimes s’était rapidement accru à New-York. Des anomalies pareilles ont été signalées dans plusieurs états de l’Europe. Le traducteur américain de l’ouvrage des deux publicistes français que j’ai nommés plus haut, M. Lieber, a examiné aussi la question, et, après avoir indiqué comment des circonstances particulières pouvaient modifier l’influence habituelle de l’éducation, il a établi que l’instruction n’était pas bonne d’une manière absolue. « L’arithmétique, dit-il, sert au fripon autant qu’à l’honnête homme qui travaille pour sa famille ; un couteau sert au meurtrier aussi bien qu’à celui qui l’emploie à couper un morceau de pain pour un mendiant. » Puis M. Lieber ajoute à ces observations des considérations ingénieuses et vraies sur l’utilité indirecte que l’éducation en commun a pour l’enfant. Il remarque que rien n’est plus dangereux qu’un homme qui ne sait pas lire dans une société civilisée. Je trouve que M. Lieber a raison. En effet, cet homme est en quelque sorte en dehors de la société ; une foule d’avenues lui sont fermées ; il a comme un sens de moins ; de là une humiliation et un obstacle perpétuel dont le sentiment doit le pousser au vice et au crime.

Il y a encore un autre motif aux États-Unis pour apprendre à lire à tout le monde : c’est que dans ce pays, où toutes les carrières et toutes les chances sont ouvertes à tous, personne ne veut donner à ses enfans la seule infériorité radicale que cette société admette, et créer pour eux l’unique incapacité qui puisse les empêcher d’arriver à la fortune et au pouvoir. Je crois qu’une partie de la reconnaissance qu’on professe aux États-Unis pour les bienfaits moraux de l’instruction s’adressent tout bas à l’utilité qu’on en peut retirer. C’est un motif très avouable de répandre l’instruction élémentaire, seulement il faudrait l’avouer davantage.

Les écoles publiques sont établies et entretenues, tantôt par des fonds que chaque état fournit, tantôt par des taxes que votent les villes et les communes. Le système le plus généralement adopté est celui de New-York, qui consiste dans une combinaison des deux autres. Le principe général est que la ville s’impose également ou proportionnellement à ce que lui donne l’état aux termes de sa constitution. L’état de New-York s’est réservé à perpétuité pour les écoles le produit de toutes les terres qui lui appartiennent, et un capital appelé fonds des écoles.