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paisiblement brûler la grange de son voisin. Avec beaucoup de peine, il décida cet homme à descendre pour donner l’alarme. Celui-ci ne concevait rien à l’empressement de M. Bunsen, et lui demandait s’il était donc parent de la veuve une telle, chez qui s’était déclaré l’incendie. Comme le diplomate prussien traversait rapidement la place du Capitule pour aller chercher du secours, il fit rencontre de trois bourgeois romains, qui se promenaient au clair de lune, et leur demanda s’ils n’avaient rien vu. Alors l’un d’eux s’arrêta et dit avec tranquillité : — Ce sera le feu que nous avons aperçu il y a une demi-heure. — Eh quoi ! vous avez aperçu le feu, et vous êtes là ? – Ah !! monsieur, cela regarde le gouvernement, tocca al governo.

J’aime beaucoup un pays où ce qui arrive à un citoyen ne regarde pas le gouvernement, mais regarde tout le monde, et c’est là le beau côté du caractère américain, car on est si accoutumé à se passer ici en toute chose du gouvernement, que, de même qu’on a des écoles volontaires, des églises volontaires, des pompiers volontaires, on a aussi une police volontaire, qu’on préfère à celle de la ville. Cependant ce que le gouvernement s’est réservé, il devrait le bien faire, et c’est ce qui ne lui arrive pas toujours. Le service des postes s’exécute avec inexactitude. Il n’y a pas assez d’employés. Dans les comptes-rendus des postes, l’administration fait un tableau très brillant de ce service, et passe trop légèrement sur les méprises (mistakes), méprises très fréquentes, comme je l’ai entendu dire à plusieurs personnes, et comme je l’ai souvent éprouvé moi-même.

Il arrive quelquefois aux Américains de me dire d’un air béat : « Nous n’avons pas de police. » Je leur réponds : « Vous en avez une et même plusieurs, en quoi je vous approuve. Seulement, chez vous, la police est mal faite, et il faudrait la faire mieux. »

Dans une ville de cinq cent mille âmes comme New-York, par laquelle il passe chaque jour plus d’un millier d’émigrans, la population flottante et par conséquent dangereuse atteint nécessairement un chiure considérable. Elle aurait besoin d’une surveillance municipale très exacte. Évidemment cette surveillance n’est point ce qu’elle devrait être. Le soir, certains quartiers sont infestés par des bandits déterminés nommés rowdies qui semblent avoir le goût non-seulement du vol, mais de la violence et de l’assassinat. L’autre jour, quelques-uns de ces misérables sont entrés chez un Français et l’ont tué par un pur caprice de férocité.

On parle beaucoup en ce moment à New-York d’un tableau dont l’auteur est un peintre américain, M. Leutze, et qui représente Washington passant la Delaware. Ce moment est bien choisi dans l’histoire de la guerre de l’indépendance. Après le désastre de Long-Island et ceux qui suivirent, Washington, qui avait été obligé de se