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à cette mélancolie rêveuse, maladie de l’oisif, mais à cette tristesse mâle, épreuve de l’homme énergique aux prises avec la destinée et soutenant cette lutte dont il a dit avec amertume : « Les soins sordides au milieu desquels je vis consument mon cœur et le racornissent ainsi que le feu racornit le papier. » Il aime à parler de la mort, à la regarder en face, comme un voyageur résolu attache un œil ferme sur le larron qui l’attend au bout du chemin, et vers lequel il marche sans joie, mais sans peur. La contemplation de la mort ramène toujours le poète américain à la moralité de la vie. « Vis, dit-il à la fin du poème intitulé Thanatopsis (vue de la mort), vis de telle sorte que, lorsque tu seras requis à ton tour de rejoindre la caravane qui est en marche vers ce mystérieux royaume où chacun prendra sa chambre dans la demeure silencieuse de la mort, tu n’y ailles pas comme le condamné employé aux carrières se traîne le soir vers sa prison, mais que, soutenu et consolé par une indomptable confiance, tu approches de ton sépulcre semblable à un homme qui s’enveloppe dans les draps de sa couche et s’endort pour faire un beau rêve. » Ce même sentiment de tristesse forte et résignée, mêlée d’une consolation, s’exprime ainsi dans ces vers suggérés au poète à la vue des étoiles qui disparaissent dans les lueurs du matin, et qui sont pour lui un symbole de l’oubli appelé à effacer toutes les renommées :


« Ainsi les ombres de l’oubli, du sein desquelles nous sommes sortis, glissent sur nous lorsque le crépuscule de la vie est terminé, et la foule des noms qui resplendissaient dans le ciel de la renommée pâlit et disparaît à mesure que s’écoulent les années. Que nos noms s’effacent ! Mais nous, prions que cet âge dans lequel le souvenir de nous et de nos amis doit périr se lève sur le monde dans la joie et la lumière, comme cette aurore qui, en ce moment, éteint les étoiles dans les cieux. »


Il y a là un sentiment qui m’émeut. Bénir l’oubli qui nous enveloppera, pourvu que le temps qui amènera cet oubli amène la félicité des générations qui naîtront alors, cela est beau et touchant, et rappelle l’excellent Chamisso contemplant en souvenir le château de ses pères sur lequel la charrue a passé, puis se réveillant de son rêve féodal par ce cri d’humanité : « Sois bénie, ô charrue, et bénie soit la main qui te conduit ! »

J’ai rencontré M. Longfellow et M. Bryant dans des circonstances bien différentes. M. Longfellow m’a reçu, avec une gracieuse hospitalité, dans un intérieur élégant, au milieu d’objets d’art et de souvenirs de tous les pays. J’ai entrevu M. Bryant au bureau de son journal, poudreux, l’air affairé comme un homme qui est dans la lutte. Ce hasard peignait les deux destinées et les deux tendances poétiques : le whig, professeur et homme du monde, conservant au