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assigner un terme à ta puissance solidement fondée, ou dire à quelle félicité les fils des hommes ne parviendront pas dans ton sein ? »

La nature américaine n’inspire pas moins heureusement M. Bryant que la grandeur et l’avenir de son pays. Il a écrit des vers délicieux sur l’aspect automnal des forêts américaines. En les lisant, je me retrouve au bord du Sciotto ; si je les avais eus alors sous la main, j’aurais cité, je n’aurais pas décrit. Son poème sur les Prairies est une peinture simple et vraie de ces régions qui ont inspiré tant de peintures fantastiques. Tandis qu’il est perdu dans la contemplation de la nature, dans une rêverie mélancolique sur le sort des races qui ont disparu, en entendant le murmure de l’abeille qui accompagne les colons en Amérique, qui les devance et les guide au désert, l’auteur, ramené au présent et à l’avenir, s’écrie : « J’écoute longtemps ce bruit domestique, et il me semble ouïr l’approche d’une multitude qui bientôt remplira les solitudes. Le rire des enfans, la voix des jeunes filles, la prière douce et solennelle du dimanche montent vers moi ; le mugissement des troupeaux se mêle au frémissement du blé mûr balancé sur les noirs guérets. Tout à coup un vent plus vif s’élève, emporte mon songe, et me voilà de nouveau dans le désert seul ! » Ce n’est pas uniquement au sein des forêts et dans les solitudes vierges du Nouveau-Monde que M. Bryant trouve des inspirations poétiques. Dans la ville agitée, affairée, au sein de laquelle il mène une vie agitée, affairée comme elle, il aperçoit une poésie à travers l’activité de l’homme, comme à travers le calme de la nature il aperçoit Dieu.

« Ce n’est pas seulement dans la solitude que l’homme peut entrer en commerce avec le ciel, ce n’est pas seulement dans le bois sauvage ou la vallée éclairée par le soleil que Dieu est présent ; je n’entends pas sa voix là seulement où les vents murmurent et où les vagues se réjouissent : ici même je reconnais, ô Tout-Puissant, la trace de tes pas, — ici, au milieu de cette foule roulant à travers la grande cité, avec ce grave murmure qui éternellement retentit, encombrant les rues qui serpentent à travers les bâtimens, orgueilleux ouvrages de l’homme.

« Ton soleil brille pour eux du haut du ciel ; sa clarté repose sur leurs demeures et éclaire leurs foyers. Tu répands l’air qu’ils respirent dans les vastes espaces. Tu leur donnes les trésors de l’océan, les moissons de ses rives.

« Ton esprit les enveloppe, animant cette masse qui marche sans relâche ; le bruit sans fin des voix, des pas de l’innombrable multitude, aussi bien que la mer résonnante et la tempête, parle de toi.

« Et lorsque vient l’heure du repos, comme un calme survient en pleine mer et fait tomber les vagues, le moment de ce repos est encore l’on ouvrage. Ce repos annonce aussi celui qui garde cette vaste cité tandis qu’elle dort. »

M. Bryant est un poète sérieux, moral, inclinant à la tristesse, non