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couvre pour l’époque, déjà prévue, où il faudra le doubler. C’est une œuvre pleine de grandeur et d’une parfaite simplicité. Imaginez une immense caisse de granit pleine d’eau. L’eau est amenée ensuite dans un autre réservoir {distributing reservoir) moins étendu, divisé de même en deux parties. Celui-ci est aussi d’un grand aspect, mais on y a cédé à la faiblesse de l’imitation en lui donnant des portes égyptiennes. Du reste l’architecture égyptienne est mieux placée en ce lieu qu’au tribunal d’instruction, qu’on appelle les tombes égyptiennes. Ici le style égyptien ne jure pas trop avec le caractère du monument, et j’en préfère l’emploi à celui des créneaux, qui seuls gâtent un peu la majesté sévère du réservoir de Boston ; mais j’aimerais encore mieux que nul ornement emprunté à un art étranger ne vînt altérer la simplicité du réservoir de New-York. On n’a pas besoin d’imiter le style des œuvres égyptiennes, quand on en reproduit si bien la solidité et la grandeur.

En revenant, je suis frappé d’une autre grandeur. Longtemps avant d’arriver à la ville, je vois se diriger en tous sens de longues allées éclairées au gaz, où s’élèvent çà et là des maisons, et qui seront bientôt des rues. La nuit et les lumières éparses en accroissent encore l’étendue. Plusieurs fois je crois être arrivé à la ville actuelle, quand je ne suis encore que dans la ville future. Enfin j’entre dans les interminables rues qui traversent New-York, et, suivant ce courant d’hommes et d’omnibus qui roule dans Broadway à travers la clarté du gaz et des magasins, j’arrive à l’hôtel de Delmonico. Il est moins splendide que l’hôtel d’Astor, où j’étais descendu en arrivant, mais on y est mieux soigné. On y vit à la française. J’ai le plaisir de dîner seul, à la carte, à mon heure, et ma santé se trouve très bien de ce régime, dont elle avait grand besoin.

New-York offre plus de ressources que je n’aurais cru à un homme qui, comme moi, a besoin de livres pour exister. Il y a d’abord la bibliothèque d’Astor, fondée par le riche particulier de ce nom, qui avait fondé aussi dans l’Orégon cet établissement dont Washington Irving a écrit l’histoire dans son curieux livre d’Astoria. La bibliothèque d’Astor est destinée à être une bibliothèque utile et non pas une bibliothèque de luxe. Cependant elle possède un certain nombre de beaux livres à planches et à gravures, entre autres un exemplaire du magnifique ouvrage de lord Kinsborough sur les antiquités du Mexique, et, ce qui étonne davantage, un antiphonaire, avec des vignettes du XVIIe siècle, qui a servi au sacre de Charles X.

Un autre établissement littéraire de New-York est le Library Society, où l’on trouve une grande quantité de revues et de journaux avec une bibliothèque assez considérable. Seulement les journaux français n’y sont représentés que par la Presse, qu’on n’y reçoit que tous les mois. C’est une véritable et impardonnable lacune. En général,