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J’ai été plusieurs jours presque sans sortir et sans chercher à voir personne. Il ne faut pas me laisser aller à cet abattement ; il faut tâcher de me ranimer, de reprendre courage. L’étude est dans certains momens une distraction bien incomplète, mais c’est encore la seule qu’on veuille admettre. Le travail est parfois l’unique consolateur dont on puisse supporter la présence.

Ma première pensée, après ce triste intervalle d’abattement, est d’aller chercher M. Davies et les antiquités trouvées par lui dans ces singuliers monumens dont j’ai visité quelques-uns en revenant de Cincinnati. M. Davies m’a montré sa collection dans le plus grand détail et avec une extrême obligeance, prenant la peine de déballer pour moi les principaux objets dont elle se compose, et me faisant part d’une foule de renseignemens aussi précieux que les objets eux-mêmes. Ce qui domine dans cette collection, ce sont des pipes ; mais ces pipes sont fort curieuses. Le fourneau représente ordinairement un animal, quelquefois une figure humaine. Les animaux sont sculptés d’une manière très remarquable ; la physionomie de l’espèce est en général fort bien saisie, ainsi qu’on le remarque dans les sculptures égyptiennes et que je l’ai observé à Leyde, dans la belle collection japonaise de M. Siebold. La figure de l’animal est plus aisée à rendre que celle de l’homme. Ici les artistes indiens ont réussi admirablement à reproduire le caractère des quadrupèdes et des oiseaux dans une action conforme à leurs habitudes : un faucon déchire sa proie, une loutre saisit un poisson avec une grande réalité d’attitude et d’expression ; le faucon déchire, la loutre mord véritablement. Le héron, avec son long bec emmanché d’un long cou, a été aussi naïvement et aussi fidèlement représenté par le sculpteur inconnu que par le grand poète. Les articulations de ses longues jambes, les écailles et les ouïes du poisson qu’il a saisi sont exprimées avec une extrême finesse ; il en est de même des reptiles, de la forme de la tête d’un serpent à sonnettes, des rugosités de la peau d’un crapaud. On trouve là une véritable ménagerie américaine : l’écureuil, la tortue, le castor, l’aigle, l’hirondelle, le perroquet, le toucan, le lamantin, etc. ; ce n’est pas une sculpture fantastique comme celle des Mexicains[1], ni grossière comme les dessins informes des Peaux-Rouges ; c’est un art différent et supérieur, suivant de près la nature et sachant la rendre sans la défigurer. Il y a aussi des têtes d’hommes d’un travail remarquable ; l’une d’elles, ayant un caractère bien individuel, représente un chef dont le visage est tatoué ; une autre semble figurer la mort. Un homme à quatre pattes et versant des larmes est probablement un ennemi

  1. Depuis, j’ai vu dans le musée de Mexico des animaux et même des figures humaines sculptés avec une assez grande vérité.