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montré une grande aptitude ; ils comprendront à coup sûr que le moyen le plus assuré d’affermir au-delà des Alpes le régime constitutionnel, c’est de l’empêcher de s’égarer, c’est d’en faire un gouvernement conservateur par-dessus tout, protecteur de la sécurité publique et de tous les intérêts légitimes qui peuvent survivre aux régimes anciens. Rien n’est plus digne de tenter l’ambition d’un homme comme M. de Cavour que de conduire le Piémont dans cette voie conservatrice et libérale à la fois.

En Allemagne, voici enfin une grande question résolue ; la Prusse et l’Autriche se sont entendues sur l’intérêt commercial qui les divisait depuis près de deux ans, et qui était venu comme fatalement prolonger leurs rivalités après la crise politique de 1848 à 1850. Le Zollverein n’est point dissous, et l’Autriche n’en fait point partie ; mais elle contracte avec lui un traité qui satisfait aux besoins de l’industrie autrichienne, et qui permettra d’apprécier à l’avance quels seraient les avantages et les inconvéniens d’une union douanière de toute l’Allemagne. Cette solution était prévue depuis plusieurs mois. L’Autriche, après avoir dépensé beaucoup d’activité et de talent pour créer une association commerciale de toute l’Europe centrale, s’était aperçue qu’elle éveillait sur ses ambitions politiques, déjà suspectes à la confédération depuis le congrès de Dresde, des soupçons peu favorables au développement ultérieur de son influence. Elle avait cédé devant cette considération puissante, et elle avait envoyé à Berlin l’un des principaux promoteurs de l’idée du Zollverein austro-allemand, M. de Bruck, pour proposer à la Prusse un moyen terme que celle-ci ne pouvait plus repousser, et qu’il était de son intérêt d’accueillir. La Prusse, en définitive, a droit de se féliciter de ce résultat ; elle le doit à la persévérante fermeté qu’elle a déployée en cette occasion, en dépit de la pression que plusieurs états de l’Allemagne méridionale ont essayé d’exercer sur elle par suite de rancunes conçues durant la crise fédérale.

Le cabinet de Berlin a suivi sur ce terrain une politique analogue à celle que les circonstances lui avaient inspirée au congrès de Dresde en 1851. La Prusse a laissé les combinaisons nouvelles, les projets d’innovation, à ses rivaux ; elle s’est renfermée dans un rôle strictement conservateur, elle s’est placée à l’abri du pacte et des institutions existantes, et M. de Manteuffel, réparant ainsi les témérités de M. de Radowitz, a su détourner les représailles que le cabinet de Vienne se promettait d’exercer sur la Prusse, soit par une réforme du pacte favorable à la prépondérance autrichienne, soit par la création d’un Zollverein austro-germanique. Évidemment la rivalité des deux grandes puissances allemandes n’est point éteinte ; elle se reproduirait à la première occasion décisive, parce qu’elle est non-seulement dans les traditions historiques des deux pays, mais dans la nature même des choses. La question douanière aussi bien que celle du pacte fédéral renaîtront infailliblement dans un avenir donné. L’Allemagne n’en a pas moins lieu de se féliciter d’avoir successivement échappé au double danger qui, sous forme politique et sous forme commerciale, a mis un moment en péril l’équilibre des forces fédérales.

Quant à la Turquie, elle n’a pas cessé d’être un objet de préoccupations pour ses adversaires et pour ses alliés. Il faut le dire, ceux qui attaquent