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une certaine complexion délicate et frêle ; ce qui leur manque, c’est l’étude et la réflexion, c’est la puissance originale et féconde. Le drame que représentait l’autre soir le Théâtre-Français, la Mal’aria, reproduction d’un des plus dramatiques épisodes de la Divine Comédie, celui de la Pia, serait loin de prouver le contraire. Il ne faut pas s’y méprendre du reste : si des écoles nouvelles ont tant de peine à se former, si une inspiration plus jeune est lente à germer, s’il y a aujourd’hui tant de tâtonnemens et d’incertitude dans la vie littéraire, la cause n’en est pas seulement dans la faiblesse individuelle des talens ; la vérité est que la génération actuelle est moins heureuse que celle qui l’a précédée dans la carrière il y a trente ans. À cette époque, le vent soufflait dans la voile des novateurs ; tout favorisait leurs efforts, tout était à tenter, à transformer, à rajeunir dans la poésie, dans le roman, au théâtre. En présence d’un but naturellement tracé, le moindre effort était presque compté pour du génie. Il y avait dans les lecteurs et dans les poètes une certaine fraîcheur d’impressions qui tenait à l’aurore d’une époque nouvelle. Ceux qui viennent aujourd’hui trouvent un sol dévasté, tous les genres littéraires épuisés ou faussés, les esprits incertains dans leur direction, un public blasé et distrait, sans ardeur et sans choix dans ses sympathies. Ils ne sont servis et soutenus par rien dans l’atmosphère qui les environne ; ils ont au contraire à se frayer eux-mêmes le chemin et à faire leur temps sans nul secours des circonstances. N’est-ce point un motif de plus pour demander des forces nouvelles à l’étude, à la méditation, au travail, afin de retrouver le secret des mâles conceptions, des savantes peintures et de toutes les délicatesses puissantes de l’art ? C’est ainsi seulement qu’il peut se former des écoles nouvelles capables de rendre son essor à l’imagination, à l’esprit de notre pays son prestige, et de maintenir son ascendant au milieu du mouvement des relations intellectuelles contemporaines.

Chose étrange, ces relations intellectuelles existent assurément entre la France et l’Angleterre ; les relations de commerce existent aussi ; les industries des deux pays se prêtent un mutuel appui : ce sont autant de garanties de paix, et c’est le moment qu’a choisi l’Angleterre pour jouer cette comédie à l’abri de laquelle elle organise des milices et accroît ses arméniens maritimes ! Dans le fait, c’était là peut-être uniquement le but réel, et le but une fois atteint, il n’est pas impossible que la toile ne tombe sur la représentation manquée de l’invasion française. Ce n’est pas même sérieusement, nous le pensons bien, la crainte d’une prochaine descente de la France qui a été le premier mobile de cette augmentation des forces de l’Angleterre. Ses hommes d’état ne sont pas accoutumés à se nourrir longtemps de chimères de ce genre, et il est infiniment plus probable que dans leur pensée les arméniens maritimes avaient une tout autre destination, celle par exemple de mettre l’Angleterre à même de jouer un rôle dans la crise de l’Orient. C’est dans la chambre des communes au reste que s’est trouvée transportée la question des relations de l’Angleterre et de la France, sur une interpellation de M. Disraeli, — et en définitive qu’est-il résulté de cette discussion ? Rien certainement de bien menaçant, rien qui réponde au mouvement factice excité en dehors du parlement. M. Disraeli a fait un très vif et très spirituel discours, auquel a répondu lord John Russell, et le débat s’est arrêté là, laissant intact des