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de l’auteur, du moins attentive et sincère ? Quel est même l’essai élevé et inconnu encore qui n’ait été recherché et observé ? Et puis ceux qui pensent que nous oublions la France ont très certainement du papier au bout de leur plume ; rien ne leur est plus facile que de faire fête aux merveilles nouvelles, si nombreuses à ce qu’il semble, au lieu de s’occuper parfois à découvrir des écrivains et des œuvres au moins aussi inconnus que la mer Méditerranée avant que M. Alexandre Dumas l’eût découverte. Ce qui est vrai, c’est que la littérature actuelle fait à la critique de rudes devoirs, en la plaçant entre une école en déclin et une école qui se ressent trop encore des circonstances où elle grandit péniblement.

D’un côté, en effet, parmi les œuvres de l’école d’il y a vingt ans, qu’aperçoit-on aujourd’hui ? C’est un roman nouveau de Mme Sand, Mont-Revèche. Y a-t-il dans ces pages quelque étincelle de la chaleur d’autrefois, quelque reflet de cette éloquence enivrante et périlleuse, de cette éclatante passion dont on sentait les frémissemens ? Dans une préface attachée à Mont-Revèche, l’auteur assure que son roman ne prouve rien, et il faut bien être de son avis ; il ajoute que le roman en général ne doit rien prouver, ce qui peut être vrai et faux tout à la fois. Ce qui prouve quelque chose dans un roman, ce n’est pas la moralité oiseuse que viendra débiter à la dernière page tel ou tel personnage, ce n’est pas la morgue pédante de sermonnaire révolté qui se fera jour à chaque ligne ; ce qui exprime la pensée d’une œuvre de ce genre, c’est le mouvement de l’action, c’est la combinaison des caractères, le jeu des passions. C’est justement sous ce rapport que Mont-Revèche ne prouve rien, et qu’il devrait prouver cependant. Un des héros du roman dit à un poète de ses amis qui joue aussi son rôle dans l’histoire : « Dieu, que les lettres t’ont gâté, mon pauvre Jules ! Tu composes tant, que tu ne peins plus du tout. Il est impossible de voir à travers ta fantaisie quelque chose qui puisse exister ; moi, je me méfie de ta femme de province, etc. » N’en peut-on pas dire autant de toutes les figures de Mont-Revèche ? Oui, certes, il y a de quoi se méfier de cette jeune fille impossible, Éveline, qui, à dix-huit ans, se livre au plus savant manège de la hardiesse féminine, et se déguise en paysan morvandiot pour aller seule, la nuit, trouver son amant dans un vieux château ; ajoutez que ce n’est point l’amour qui la conduit, c’est la curiosité. Ce jugement, que Mme Sand applique si singulièrement à son poète, ne pourrait-on pas l’appliquer à elle-même ? Elle compose tant, qu’elle ne peint plus guère. La passion s’est refroidie chez elle, et il est resté un esprit brillant encore sans doute, mais qui s’amuse à jouer avec tous ses personnages pour leur rire au nez à la fin, nous le craignons bien, en les bénissant dans un mariage universel. Il y a loin déjà de Mont-Revèche à la Mare au Diable ou à la Petite Fadette ! et tandis que de ce côté l’inspiration semble décliner, quels sont les symptômes de l’inspiration nouvelle ? Quelles sont les œuvres où se révèle quelque vigueur de jeunesse ? Il y en a sans doute, et ce n’est point de notre part que la sympathie pourrait leur manquer ; il y a des talens qui s’élèvent et mûrissent, il est des esprits pleins d’une fine et pénétrante délicatesse ; c’est un mouvement qui tend à se dessiner, un groupe qui se forme. En général cependant, dans bien de ces esprits nouveaux qui naissent depuis quelque temps à la vie littéraire, ce qu’on peut remarquer, c’est une certaine ténuité d’inspiration,