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éperdues et des rugissemens atroces ; le lion en devient terrible. Il ne faudrait pas alors, suivant l’expression arabe, que « l’œil vînt à rencontrer l’œil. »

La chair du lion, quoiqu’on la mange quelquefois, n’est pas bonne, mais sa peau est un présent précieux ; on ne la donne qu’aux sultans, aux chefs illustres, ou bien aux marabouts et aux zaouyas. Les Arabes croient qu’il est bon de dormir sur une peau de lion : on éloigne ainsi les démons, on conjure le malheur et on se préserve de certaines maladies. Les griffes du lion montées en argent deviennent des ornemens pour les femmes. La peau de son front est un talisman que certains hommes placent sur leurs têtes pour maintenir dans leurs cervelles l’audace et l’énergie.

En résumé, la chasse au lion est en grand honneur dans le pays arabe. Tout combat contre le lion peut avoir pour devise le mot de don Diègue à Rodrigue : « Meurs ou tue. » - « Celui qui le tue le mange, dit le proverbe, et celui qui ne le tue pas en est mangé. » Aussi donne-t-on à un homme qui a tué un lion ce laconique et viril éloge ; on dit : « Celui-là, c’est lui. — Hadak-houa. »

Une croyance populaire montre la grandeur du rôle que joue le lion dans la vie et dans l’imagination arabes. Quand le lion rugit, le peuple prétend que l’on peut facilement distinguer les paroles suivantes : « Ahna ou ben el mera ; — moi et le fils de la femme. » Or, comme il répète deux fois ben el mera et ne dit Ahna qu’une seule fois, on en conclut qu’il ne reconnaît au-dessous de lui que le fils de la femme.

La vie du chasseur, — ces quelques épisodes auront suffi à le prouver, — est toute l’existence de l’Afrique. C’est la vie du péril, de l’aventure, des courses infatigables dans le désert, des audacieuses excursions à travers la montagne et les bois. La terre africaine est comme un dernier refuge où l’héroïsme individuel, plus inutile chaque jour en Europe, poursuit ses glorieux ébats.


GENERAL E. DAUMAS.