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pièges que préparent nos paysans. Quelquefois on creuse auprès d’un cadavre un trou recouvert de forts madriers entre lesquels on ménage seulement une ouverture nécessaire pour laisser passer le canon d’un fusil. C’est dans ce trou appelé melebda que le chasseur se blottit. Au moment où le lion se dirige vers le cadavre, il l’ajuste avec soin et fait feu. Souvent le lion, lorsqu’il n’a pas été atteint, se jette sur le melebda, brise avec ses griffes les madriers, et dévore le chasseur derrière son rempart anéanti.

Quelques hommes enfin entreprennent contre le lion une chasse aventureuse et héroïque, rappelant les prouesses chevaleresques. Voici comment, à son dire, s’y prenait Si-Mohammed-Esnoussi, homme d’une véracité reconnue, qui habitait le Djebel-Gueroul, auprès de Tiaret. « Je montais sur un bon cheval (c’est Mohammed lui-même qui parle par la bouche d’Abd-el-Kader), et je me rendais à la forêt par une nuit où brillait la lune. J’étais bon tireur alors, jamais ma balle ne tombait à terre. Je me mettais à crier plusieurs fois : Ataiah ! Le lion sortait et se dirigeait vers l’endroit d’où partait le cri, et je tirais aussitôt sur lui. Souvent un même fourré renfermait plusieurs lions qui se présentaient à la fois. Si une de ces bêtes m’approchait par derrière, je tournais la tête et je visais par dessus la croupe de mon cheval ; puis, dans la crainte d’avoir manqué, je partais au galop. Si j’étais attaqué par devant, je détournais mon cheval et recommençais la même manœuvre. »

Les gens du pays affirment que le nombre des lions tués par Mohammed-ben-Esnoussi atteignait presque la centaine. Cet intrépide chasseur vivait encore en l’an 1253 (1836 de Jésus-Christ). « Quand je le vis, dit Abd-el-Kader, il avait perdu la vue ; qu’il jouisse de la miséricorde de Dieu ! »

Une chasse plus dangereuse encore que la chasse dirigée contre le lion lui-même, c’est la chasse que l’on fait à ses petits. Il se rencontre toutefois des gens pour tenter cette périlleuse entreprise. Tous les jours, le lion et la lionne sortent de leur tanière vers trois ou quatre heures de l’après-midi, pour aller au loin faire une reconnaissance dont le but est sans doute de procurer des alimens à leur famille. On les voit sur une hauteur, examiner les douars, la fumée qui s’en échappe, l’emplacement des troupeaux. Ils s’en vont après avoir poussé quelques horribles rugissemens qui sont des avertissemens précieux pour les populations d’alentour. C’est pendant cette absence qu’il faut se glisser avec adresse jusqu’aux petits, et les enlever en ayant bien soin de les bâillonner étroitement, car leurs cris ne manqueraient pas d’attirer un père et une mère qui ne pardonneraient point. Après un coup de cette nature, tout un pays doit redoubler de vigilance. Pendant sept ou huit jours, ce sont des courses