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que les fantassins ne l’abattent jamais sans avoir des hommes tués ou blessés.

Les cavaliers qui ont accompagné cette infanterie n’ont rien à faire tant que leur ennemi ne quitte pas les pays accidentés ; leur rôle commence, si, comme cela a lieu quelquefois dans les péripéties de la lutte, les hommes à pied parviennent à rejeter le lion sur un plateau ou dans la plaine. Alors s’engage un nouveau genre de combat qui a bien aussi son intérêt et son originalité. Chaque cavalier, suivant son agilité et sa hardiesse, lance son cheval à fond de train, tire sur le lion comme sur une cible à une courte distance, tourne sa monture dès que son coup est parti, et va plus loin charger son arme pour recommencer aussitôt. Le lion, attaqué de tous les côtés, blessé à chaque instant, fait face partout ; il se jette en avant, fuit, revient, et ne succombe qu’après une lutte glorieuse, mais que sa défaite doit fatalement terminer, car contre des cavaliers et des chevaux arabes, tout succès lui devient impossible. Il n’a que trois bonds terribles ; sa course ensuite manque d’agilité. Un cheval ordinaire le distance sans peine. Il faut avoir vu un pareil combat pour s’en faire une idée. Chaque cavalier lance une imprécation ; les paroles se croisent, les burnous se relèvent, la poudre tonne ; on se presse, on s’évite ; le lion rugit, les balles sifflent ; c’est vraiment émouvant. Malgré tout ce tumulte, les accidens sont fort rares. Les chasseurs n’ont guère à redouter qu’une chute qui les jetterait sous la griffe de leur ennemi, ou, mésaventure plus fréquente, une balle amie, mais imprudente.

On connaît maintenant la forme la plus pittoresque, la plus guerrière que puisse prendre la chasse au lion. Cette chasse se fait encore par d’autres procédés qui peut-être même ont quelque chose de plus sûr et de plus promptement efficace. Les Arabes ont remarqué que, le lendemain d’un jour où il a enlevé et mangé des bestiaux, le lion, sous l’empire d’une digestion difficile, reste dans sa retraite fatigué, endormi, incapable de bouger. Lorsqu’un lieu troublé d’ordinaire par des rugissemens reste une soirée entière dans le silence, on peut croire que l’hôte redoutable qui l’habite est plongé dans cet état d’engourdissement. Alors un homme courageux, dévoué, arrive en suivant la piste jusqu’au massif où se tient le monstre, l’ajuste et le tue raide en lui logeant une balle entre les deux yeux. Kaddour-ben-Mohammed, des Oulad-Messelem, fraction des Ounougha, passe pour avoir tué plusieurs lions de cette manière.

On emploie aussi contre le lion différentes espèces d’embuscades. Ainsi les Arabes bédouins pratiquent sur la route de son repaire une excavation qu’ils recouvrent d’une mince cloison. L’animal brise par son poids ce léger plancher et se trouve pris comme le loup dans les