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L’ÉMIGRATION EUROPÉENNE DANS LE NOUVEAU-MONDE

ailleurs, ces deux effets se produisent simultanément ; partout enfin, à défaut de misère ou d’entraves légales, partout se sont développées les convoitises ardentes de la richesse ou le simple désir du bien-être. Dès-lors l’Europe a dû chercher au loin, par-delà les océans, de vastes territoires où le trop plein de sa population pût trouver, au prix du travail, la subsistance, le bien-être, la propriété. Telle est l’origine de l’émigration qui, depuis vingt ans, a déjà enlevé à l’Europe plusieurs millions d’hommes.

Quant aux résultats de ce mouvement, ils se recommandent à notre attention par la grandeur et la variété des questions qu’ils soulèvent. Si l’on considère le point de départ, on observe, comme conséquence immédiate, le soulagement apporté à la mère-patrie, qui jette ainsi hors de son sein les misères qui la déshonorent et les ambitions qui la mettent en péril. Si l’on considère le point d’arrivée, on voit des agglomérations, des amalgames de races, des nationalités qui se forment et auxquelles chaque brise du large, chaque flot de la marée apporte des cargaisons de citoyens. Si enfin on rapproche par la pensée les deux points extrêmes, on contemple le magnifique essor que prennent de part et d’autre les relations commerciales, les communications maritimes et surtout l’échange des idées ; on aperçoit, à travers l’avenir, les larges horizons qui s’ouvrent à la production des richesses et aux conquêtes pacifiques de la civilisation moderne. On comprend alors la sollicitude avec laquelle les gouvernemens d’Europe et d’Amérique surveillent le mouvement de l’émigration et s’efforcent de lui imprimer une direction qui leur soit profitable.

Une législation particulière régit aujourd’hui ce nouveau mode de trafic international, que des compagnies puissantes, que les gouvernemens eux-mêmes exploitent sur une grande échelle et avec d’immenses capitaux ; des statistiques volumineuses sont publiées dans les principaux pays et fournissent les documens nécessaires à l’appréciation de ce grand fait. La France doit y puiser d’utiles enseignemens. L’émigration ne serait-elle pas au nombre des remèdes que la Providence tient en réserve pour l’apaisement de la crise sociale ? Ne pourrait-elle pas venir en aide à nos colonies, en répandant la population sur les territoires que nous a donnés la conquête ? À ce double point de vue, il n’y a point d’étude qui soit à la fois plus opportune et plus pratique. Il faut suivre les races humaines dans leurs pérégrinations nouvelles, reconnaître les routes récemment explorées, et dégager, à travers les phases des premières expériences, les principes qui déterminent et dirigent l’expatriation. Il importe également de signaler avec soin les détails de cette opération, devenue aujourd’hui si vaste, car les faits supérieurs se compliquent d’incidens secondaires, qui exercent parfois sur l’ensemble une influence prépondérante, et, dans une question qui intéresse si directement les destinées de l’homme, ces incidens sont aussi multiples, aussi variés que notre nature même ; ils correspondent à nos instincts, à nos passions, aux mille exigences de notre être matériel et moral ; ils apparaissent à chaque pas du voyage, à chaque rive où l’on aborde ; ils peuvent, selon les pays et les circonstances, favoriser ou entraver l’émigration.

De là les courans nombreux entre lesquels se divise le mouvement irrésistible qui entraîne régulièrement hors de l’Europe tant de milliers d’hommes.