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voir rappeler à la France l’illustre passé monarchique dont il est la personnification et les conditions d’hérédité traditionnelle qu’il représente ? Le gouvernement lui-même a fait la distinction de ces pièces diverses, entre lesquelles il n’y a en effet nulle analogie ; tout diffère, et la situation, et la convenance, et la dignité, et la modération du langage. Ces documens n’ont qu’un trait commun, c’est qu’ils étaient également inutiles quant au résultat. Il y a dans les événemens une logique qui ne s’arrête point pour un manifeste ou une protestation. Cette logique, c’est le scrutin qui vient d’avoir lieu. Le mot de la situation est dans l’urne, d’où il sort en ce moment. On a dit au peuple : Voter est un crime ! Voilà sa réponse : huit millions de voix achèvent la transformation de l’état politique de la France en ratifiant de nouveau l’empire. Dans un morceau écrit de bonne foi et avec la finesse d’un esprit élevé, M. de Falloux disait un jour ici même, on peut s’en souvenir, que, dans l’élection du 10 décembre 1848, il y avait une négation de la république et une demi-affirmation de la monarchie. Nous avons bien aujourd’hui, si nous ne nous trompons, l’affirmation tout entière. On nous permettra de ne nous étonner ni de nous attrister beaucoup de la fin de la république. Ce n’est point sa mort qui nous attriste, c’est sa vie qui nous a affligés. Notre génération a pu apprendre, par une expérience propre, ce qu’elle ne pouvait que soupçonner il y a quelques années : c’est que la république, par ce qu’elle fait et ce qu’elle empêche, par les croyances qu’elle ébranle, par les idées qu’elle met en doute, par les extrémités qu’elle enfante, est aussi fatale à la liberté qu’à l’ordre. Quant à la monarchie, elle est de tradition en France, et à ce titre elle est toujours en quelque sorte dans l’instinct public ; mais elle a surtout, à nos yeux, ce grand avantage encore, qu’elle est le plus court chemin pour revenir aux conditions d’un régime régulier et modéré. La situation de la France étant donnée d’ailleurs, il n’est point inutile que les institutions nouvelles sortent d’un scrutin comme celui d’aujourd’hui. Les pouvoirs contestés sont des pouvoirs de lutte, et les pouvoirs de lutte sont souvent condamnés à s’attester eux-mêmes. Là où l’opposition se tait, où l’antagonisme des partis s’efface, il y a nécessairement place pour tous et pour tout, pour les instincts et les besoins les plus divers, pour cette liberté honnête et juste qui consiste à agiter, dans le respect des lois, les grandes questions auxquelles la civilisation reste attachée. Nous n’ajouterons qu’un mot sur ce point. Quand, à l’issue des révolutions, ce mot d’ordre et de reconstitution du pouvoir circule dans l’air en France, il n’est point à redouter que notre pays s’arrête à mi-chemin. Il serait plutôt à craindre qu’on ne crût avoir tout fait en fondant un gouvernement par un vote. Il reste cependant pour la société elle-même et pour chacun individuellement beaucoup à faire. À quoi serviraient ces grandes haltes, ces momens de grand repos et de sécurité, si on n’en usait pour s’interroger, pour se réformer, pour passer au creuset tous ces entraînemens et ces préjugés qui ont fait, dans notre siècle, mentir tant de promesses ? Ce sont les bénéfices d’un régime qui se fonde sur ces deux choses, la stabilité et la paix : — la stabilité qui permet à la pensée publique de se porter sur toutes les entreprises sérieuses et utiles ; la paix, qui permet à ces entreprises de s’étendre, de rayonner et de devenir le bien commun de la civilisation européenne.