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Le saule au feuillage terne,
Le peuplier et le verne
Te protégeront,
Et les promeneuses blondes
Dans le cristal de tes ondes
Se regarderont.

Mais bientôt, plus de prairies!
Adieu les plaines fleuries,
Adieu ton berceau !
Voilà qu’une ville sombre
Va t’attrister de son ombre,
O pauvre ruisseau !

Taché de sang et de boue,
Tu feras tourner la roue
Dans un atelier;
Comme une bête de somme
Tu travailleras, et l’homme
Sera ton geôlier.

Tu sors enfin de la ville
Noir de ton œuvre servile;
Un fleuve géant
Qui t’arrête dans ta course
Absorbe l’eau de ta source
Dans son lit béant.

Hors de ta pente native
Tu laisses ton eau captive
Suivre un autre cours;
Tu perds ton nom et ta forme,
Et, dans cette masse énorme,
Te fonds pour toujours.

Dans un parcours de cent lieues
Tu rouleras tes eaux bleues
Sous des cieux divers;
Tu réfléchiras les villes.
Les tours, les coteaux fertiles.
Et les îlots verts.

Dans ton inflexible marche
Des ponts tu vas ronger l’arche,
Rouler des rochers,
Et jusqu’aux plages lointaines
Amener des barques pleines
Au pied des clochers.