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L’Émigration européenne
dans le Nouveau-Monde.


Depuis vingt ans, l’émigration européenne a pris des développemens considérables. Il ne s’agit plus, comme autrefois, de déplacemens partiels, déterminés soit par les dissensions religieuses, soit par les passions politiques, ou seulement par l’ardeur chevaleresque de la conquête et des aventures. L’émigration, au XIXe siècle, est devenue un fait général, permanent, régulier ; la plupart des nations de l’Europe, toutes les races du vieux monde alimentent ce vaste courant qui entraîne vers un monde nouveau des familles, des populations entières.

Sans doute, les progrès accomplis dans l’art de la navigation, ainsi que la rapidité et l’économie des moyens de transport, ont singulièrement favorisé l’émigration ; mais ces progrès, purement matériels, n’expliqueraient pas l’immense déplacement d’hommes et d’intérêts qui s’opère sous nos yeux ; des causes plus sérieuses poussent ainsi l’Europe vers l’Océan. Il faut remonter à la loi providentielle qui a marqué, dès l’origine, les étapes de la race humaine. C’est la civilisation qui a fixé d’abord sur un étroit espace les tribus errantes et nomades ; c’est elle encore qui doit, après avoir créé des nationalités nombreuses, distinctes, florissantes, sonner l’heure du départ vers une terre nouvelle, afin que l’excédant d’une région aille féconder un sol vierge, et que peu à peu le niveau du peuplement s’établisse. Toutes les idées, tous les faits, toute l’histoire de l’humanité, conspirent instinctivement à l’exécution de cette grande loi, qui s’accomplit selon les desseins de Dieu.

Que l’on jette les yeux sur l’Europe, telle qu’elle est aujourd’hui constituée : ici, ce sont des populations qui étouffent sous le nombre et qui meurent de faim sur un sol trop resserré ; là, des nations où les lois civiles et politiques ont restreint l’exercice du droit de propriété au point de le réserver à une minorité privilégiée et de gêner ainsi l’une des passions les plus vives de l’homme ;