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SCÈNES DE LA VIE ITALIENNE.

vos consolations hypocrites, et ne restez pas ainsi à genoux devant moi, car vous perdez votre peine et vos paroles, je vous en avertis.

— Non, dit le jeune homme à la toque de velours, je ne puis quitter cette posture qui exprime si exactement l’état de mon cœur.

— Je vous la ferai bien quitter, répondit la jeune première ; je vous forcerai bien de sortir d’ici, en vous jetant à la tête cette écritoire, qui m’a déjà débarrassée d’un importun et d’un faux consolateur.

La Marietta s’était armée de l’encrier fatal au combinateur de Sinigaglia, — mais lorsqu’elle se tourna, le bras en l’air, du côté de l’amoureux La Peyrouse, il avait disparu. Au bout d’un moment, la porte s’ouvrit encore, et le vieux Truffaldin se glissa dans la chambre en faisant son sourire vaniteux et narquois.

— Qa’ai-je appris, dit-il, ma pauvre enfant ! On t’a maltraitée ; on t’a pincée, injuriée jusque sur la scène ! Je te vais donner le moyen de mettre à la raison toutes ces créatures. Tu sais qu’elles me craignent comme le feu, que je les fais rentrer sous terre quand elles s’avisent de me chercher querelle. Les lazzis, les railleries et les vociférations, c’est ma spécialité, c’est mon emploi ; par état, il faut que j’aie la langue venimeuse. Sous la protection de l’improvisateur de la troupe, tu seras respectée, redoutée, à l’abri des attaques, comme le mouton dans la bergerie. Je suis vert encore, d’une santé de fer, et tu n’ignores pas que je suis obligé de me grimer pour représenter les pères ridicules. Je t’aimerai, je te protégerai beaucoup mieux qu’un jeune homme…

En parlant ainsi, le Truffaldin baisait les mains de la jeune première, mais un regard foudroyant l’interrompit. — Félicitez-vous, lui dit Maria, de n’être en effet qu’un vieillard et de ne pas m’inspirer de crainte avec vos baisers de comédie, car si je vous croyais dangereux, vous laisseriez ici vos deux yeux ou la peau de votre vilain masque. Je vous pardonne en faveur de votre âge et de votre esprit. Allez, et ne me faites plus souvenir d’un moment de sottise que je vous promets d’oublier.

Tampicelli vint aussi exhiber sa protection.

— Ma mignonne, dit-il avec bonté, je ne souffrirai pas que des femmes jalouses te dégoûtent de notre compagnie. Ces discordes sont l’élément de dissolution des troupes comiques. On te doit une réparation, tu l’auras.

— Hélas ! répondit la jeune fille, préservez-moi plutôt des poursuites des hommes que de la méchanceté des femmes !

Le directeur fit le tour de la chambre à grands pas.

— Écoute, dit-il ensuite. Ma vieille expérience me suggère un moyen excellent de mettre fin à tes ennuis. C’est une mesure de bonne administration et l’inspiration d’un cœur qui t’aime. La favorite, la compagne, l’associée du capo comico ne sera plus en butte ni aux malices des femmes ni aux déclarations d’amour des acteurs.