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SCÈNES DE LA VIE ITALIENNE.

combinateurs ne font point fortune. Les gens du pays ne veulent pas de leurs services. S’ils ne trouvaient à duper quelques étrangers assez novices pour croire à leurs histoires, ils ne gagneraient pas l’eau qu’ils boivent. Maître Joseph, n’ayant pas une garde-robe aussi variée que celle du marquis de Moncade, eut recours au savon pour réparer le dégât de sa lévite ; mais il ne réussit qu’à étendre davantage l’encre en la délayant et à fondre agréablement les contours des taches. Quand il eut hoché la tête en maudissant la vertu farouche de la Marietta, il remit tranquillement sa redingote avariée pour retourner à ses affaires. Une grêle de quolibets l’assaillit au café de la rue Maestra ; il ne s’en émut pas le moins du monde, et il fit bien, car, au bout d’un quart d’heure, on ne s’occupait déjà plus de lui. Cependant le seigneur américain fut choqué de cette tenue malséante. — Joseph, dit-il avec sévérité, pourquoi êtes-vous ainsi marqué de noir des pieds à la tête ?

— Excellence, répondit le combinateur, c’est un moyen de me faire reconnaître de loin. Les plagiaires qui me volent tous mes expédiens n’auraient point inventé celui-là.

— Oh ! reprit l’étranger, cette idée est détestable ; allez changer d’habit tout de suite.

— À quoi bon, excellence ?

— Je ne veux pas que mon messager ressemble à une panthère, entendez-vous ?

— Excellence, je n’ai pas d’autre habit. À moins que votre seigneurie ne m’avance une pièce d’or sur notre grand contrat, le véritable Joseph court le risque d’être à jamais moucheté.

— Voici une pièce d’or ; allez changer d’habit.

— Pour vous obéir, excellence ; mais auparavant votre seigneurie daignera m’écouter, si je lui communique d’heureuses nouvelles. Je savais bien que la Marietta rabattrait de sa fierté quand nous l’aurions sifflée pour nos douze sous ; elle en a rabattu.

— Je ne vous avais pas commandé de la siffler, Joseph.

— Il est vrai, excellence, j’ai pris cela sur moi. Le résultat a dépassé mes espérances ; la petite s’est adoucie, apprivoisée comme un agneau. Tout a été convenu pour le dernier jour de la fiera, à une heure avant midi. C’est un peu matin, mais nous sommes comédienne, quoique sifflée ; le soir appartient à l’art dramatique. Donc, jusqu’au moment fixé, ne vous occupez de rien, ne vous inquiétez plus, ne bougez, ne dites mot. Vous gâteriez tout, excellence. Attendez en paix, attendez ce qui ne peut manquer d’arriver.

— J’attendrai, Joseph, et je vous commande à présent d’applaudir la Marietta.

— Comme il vous plaira, excellence. Voulez-vous qu’elle soit rappelée vingt-quatre fois sur la scène au milieu d’une pluie de fleurs ?