Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/961

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
955
SCÈNES DE LA VIE ITALIENNE.

quent les rhumes et les fluxions, aux autres les œillades compromettantes, les ports de lettres et les écritures, si dangereuses au double point de vue de la preuve incontestable et de la faute d’orthographe. Quand on pense que pour une faible rétribution tant de périls et d’ennuis sont évités !…

— Joseph, interrompis-je, c’est grand dommage que vous fassiez de votre intelligence un si méchant emploi.

— Que voulez-vous, excellence ? bien peu de gens sont à leur place dans ce monde. Qu’on me donne seulement un prieuré…

— Il serait en bonnes mains !

— Parlons d’affaires, excellence. Une dame romaine, veuve, jeune et belle, arrivée ici depuis un mois pour prendre des bains de mer, attend d’un jour à l’autre des lettres de son secrétaire qui doivent contenir des valeurs. Un retard qu’elle ne s’explique pas dans cet envoi de fonds est la cause d’un embarras momentané dans ses finances…

— N’allez pas plus loin, Joseph, je connais cette histoire ; on me l’a racontée à Venise la semaine dernière et dans les mêmes termes.

— Les brigands ! murmura Joseph, ils m’ont volé jusqu’à mes histoires. Nous avons encore à Sinigaglia la fille d’un apothicaire dont le père, assez riche, est membre correspondant de la société de la Lésine.

— Joseph, cette histoire-là n’est pas de vous. On me l’a faite à Florence, l’an passé, sur la place de Sainte-Marie-Nouvelle.

— Mille tempêtes ! s’écria le combinateur en se mordant les lèvres, votre seigneurie aurait dû m’avertir qu’elle avait fréquenté les Florentins, je ne lui aurais point servi ces fables ordinaires par lesquelles nous commençons toujours. Cette fois, je lui dirai la vérité pure et simple. Une jeune femme, récemment mariée à un homme d’un âge mûr et par conséquent jaloux…..

— Arrêtez, Joseph ! je vais achever l’histoire : la signora doit de l’argent à l’orfèvre, à la couturière, au parfumeur, et elle tremble que son jaloux ne vienne à découvrir qu’elle ne paie point ses fournisseurs. Le créancier qui l’incommode le plus est son coiffeur, pauvre diable chargé de famille, qui n’a pas le temps d’attendre et qui importune la dame pour une somme chétive.

— Bravo ! s’écria le véritable Joseph en éclatant de rire. Votre seigneurie en sait aussi long que moi ; mais qu’importe la vérité de l’histoire, pourvu que la signora soit belle ?

— Il importe fort peu en effet ; sachez seulement que je ne suis pas dupe de ce vernis romanesque dont vous prétendez embellir votre commerce.

— Eh bien ! je me piquerai d’honneur. Que je perde mon titre de