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SCÈNES DE LA VIE ITALIENNE.

seau dans ces parages, La Peyrouse daignait accepter ce petit gouvernement, et Sméraldine, en devenant son épouse, partageait avec lui la couronne. Ce dénoûment peu vraisemblable me fit craindre pour le succès de l’ouvrage. Pendant la longue tirade qui ramenait les sauvages à des sentimens chrétiens, je regardai à la dérobée les visages des spectateurs. La plupart trahissaient une émotion réelle, et derrière moi j’aperçus la jeune Tyrolienne, les yeux inondés de larmes, qui sanglottait dans son mouchoir. Après la chute du rideau, on rappela les artistes, et une triple salve d’applaudissemens frénétiques couronna cette œuvre naïve, en sorte que je me retirai tout honteux de mon insensibilité.

Au café de la rue Maestra, il n’y avait qu’une voix sur le mérite de la compagnie comique. La troupe chantante, qui venait de représenter l’Ernani de Verdi au grand théâtre, n’avait pas eu le même bonheur, et je remarquai, aux critiques qu’on en faisait, combien le goût de ce public était plus délicat en musique qu’en littérature. Une fioriture manquée de doña Sol avait blessé tout l’auditoire de l’opéra ; on discutait avec acharnement sur la cavatine, lorsque l’apparition de la Tyrolienne aux doux yeux vint changer le sujet de la conversation. Tous les regards se portèrent sur cette figure aimable, et de toutes les bouches sortirent ces flatteries que les Italiens décochent aux jolis visages en manière de soupirs et de déclarations d’amour : Graciosa, bellina, carina ! etc. Le costume de Maria, qui n’était pas exempt de recherche, servait d’enseigne à sa boutique portative, en attirant l’attention sur la marchande : il se composait d’un corsage de velours, sous lequel on voyait un foulard coquettement plissé en forme de gorgerette, d’une jupe courte en soie grise, et d’une ceinture attachée par une boucle de cuivre doré. Le chapeau tyrolien, orné d’une plume d’épervier, donnait à cette fille des montagnes un certain air indépendant que la douceur de la physionomie tempérait agréablement. Maria vint poser sa boîte de parfumerie sur la table où je prenais une glace, et me demanda ce que je pensais du Naufrage de La Peyrouse.

— Si vous étiez, répondis-je, dans les conditions d’un spectateur ordinaire, je respecterais l’émotion profonde que vous a causée cet ouvrage vraiment forain ; mais, puisqu’il s’agit pour vous d’embrasser une carrière pleine de déboires et de périls, je vous parlerai sans ménagement. J’ai trouvé la pièce insipide, l’épisode des animaux ridicule, et tous les artistes au-dessous du médiocre, sauf le Pantalon, qui ne manque pas de gaieté. Il faut être dans un pays en fête et sevré de spectacles pour écouter cela jusqu’au bout. Réfléchissez encore avant de vous associer à cette compagnie comique, dont le directeur, avec ses belles paroles, n’a fait que prouver par un nouvel exemple cette vé-