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raire d’un voyage autour du monde. Louis XVI, connaissatit les dangers d’une si longue entreprise, embrassait le savant marin la larme à l’œil et rentrait dans ses appartemens. Aussitôt après, le signor Pantalon, qui se trouvait par hasard à Versailles, brûlant du désir de voir la Chine et le Japon, suppliait avec mille lazzis divertissans l’illustre La Peyrouse de l’emmener sur son vaisseau. Le commandant, bon prince, cédait aux prières du bourgeois vénitien, et Pantalon courait faire ses préparatifs pour s’embarquer sur la Boussole avec sa fille Sméraldine, qui n’avait pu voir sans émotion le beau visage, le grand air et la toque de La Peyrouse.

Au second acte, le décor représentait une île inconnue de l’Océan Indien. Un singe blessé d’une flèche exprimait ses souffrances par des cris aigus. Un lion saisi de pitié répondait aux plaintes du singe par des mugissemens terribles. Le tonnerre et les éclairs complétaient cette scène d’une belle horreur, et dans le fond du tableau les regards découvraient, au milieu des vagues, une planche taillée en forme de navire, qui s’abîmait peu à peu dans le sein de la mer. Bientôt cette planche disparaissait entièrement, et trois personnes abordaient à la nage dans l’île : c’étaient La Peyrouse, Pantalon et Sméraldine, qui seuls avaient survécu au naufrage de la Boussole. Sans prendre le temps de faire sécher ses habits, le généreux La Peyrouse, versé dans la botanique, pansait la blessure du singe au moyen de plantes médicinales dont Sméraldine exprimait le suc précieux. L’animal guéri montait sur un arbre, après avoir témoigné sa reconnaissance par une pantomime touchante. Tout à coup des hurlemens annonçaient l’arrivée des sauvages. Sméraldine, faiblement rassurée par la contenance intrépide du La Peyrouse-Almaviva, fondait en larmes, et Pantalon, tremblant de tout son corps, regrettait amèrement Venise et la boutique d’orfèvrerie qu’il avait tenue dans cette ville bienheureuse. Inutiles regrets ! une horde de cannibales entourait les naufragés et se mettait en mesure de les faire cuire à petit feu.

Cependant, du haut de son observatoire, le singe surveillait ces apprêts barbares. Il se glissait dans la coulisse sans être remarqué. Déjà les victimes renonçaient à défendre leur vie, quand le lion terrible, guidé par le singe reconnaissant, s’élançait au milieu des sauvages et se préparait à les dévorer, ce qu’il aurait exécuté, si La Peyrouse, d’un geste imposant, ne l’eût prié d’attendre encore une minute. Avec autant d’éloquence que de bonté, le grand navigateur reprochait aux cannibales la férocité de leurs mœurs. Au nom d’un Dieu clément qu’il promettait de leur faire connaître, il les engageait à ne plus manger de chair humaine. L’approbation du lion terrible ayant achevé de les persuader, les sauvages tombaient aux pieds de l’orateur et lui proposaient de régner sur leur tribu. En attendant l’arrivée de quelque vais-