Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/947

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


LA FOIRE DE SINIGAGLIA.


SCÈNES DE LA VIE ITALIENNE.

I.

Un matin du mois de juillet, trois jeunes gens, qui se promenaient dans la galerie des Procuratie Nuove, à Venise, s’arrêtèrent devant l’office des bateaux à vapeur de Trieste, pour examiner une affiche qu’on venait d’exposer à l’instant devant la porte. Cette affiche, imprimée sur deux colonnes, en allemand d’un côté, en italien de l’autre, portait en gros caractères ce titre peu harmonieux pour des oreilles méridionales : Dampfschifffahrt, c’est à-dire « navigation à vapeur. » La profusion remarquable des consonnes et particulièrement les trois f de suite excitaient l’hilarité de mes jeunes Vénitiens, gens rieurs et enclins à la critique. Ils se livraient à des commentaires et à des plaisanteries où l’on sentait l’antipathie des deux races autant que celle des deux langues. L’affiche annonçait que la compagnie des pyroscaphes, à l’occasion de la foire de Sinigaglia, ferait pendant quinze jours un service direct et quotidien entre Venise et cette ville. Le prix des places était modéré. Les bateaux partaient le soir pour éviter l’ardeur du soleil. Le beau temps, la pleine lune, le calme de la mer, l’attrait d’une excursion dans un pays en fête, me décidèrent à m’embarquer. Je pris le petit bagage nécessaire pour un voyage de deux semaines, et à six heures du soir je saluais de loin Venise, qui déjà ressemblait à une ville flottante.