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n’est pas la seule stérile. Si je voulais renverser la proposition, les exemples, Dieu merci, ne me manqueraient pas. Ce que je tiens à établir, c’est que l’encouragement ne signifie rien sans le conseil. Battre des mains, prodiguer l’hyperbole, jeter la louange à pleines mains est chose trop facile ; l’esprit le plus frivole peut sans peine s’acquitter d’une telle tâche. L’encouragement, sous cette forme, ne signifie pas plus que le bonjour d’un homme bien élevé. Pour que l’encouragement profite vraiment à celui qui le reçoit, pour qu’il honore celui qui le donne, il faut, de toute nécessité, qu’il soit expliqué, justifié, et consacré par le conseil. Il ne suffit pas de dire au poète nouveau : Vos premiers pas dans la carrière sont des pas glorieux, vos premiers efforts sont des preuves de puissance. — Si l’on ne veut pas le traiter comme un enfant, il n’est pas permis de taire les motifs de son admiration. Or, en déduisant les motifs de contentement intellectuel, comment se défendre de comparer la route parcourue à la route qui s’ouvre devant le poète nouveau ? La critique se trouve entraînée par une pente irrésistible, et ne peut tenir le conseil en réserve lorsqu’elle a prononcé d’une voix sincère les formules de la louange.

Oui, le conseil, telle est, selon moi, la consécration légitime de toute louange. Les génies prédestinés qui méritent la louange absolue, la louange sans restriction, sans remontrances pour le passé, sans avertissement pour l’avenir, forment une famille trop peu nombreuse pour que la critique leur demande une règle de conduite. Depuis Homère jusqu’à Milton, depuis Dante jusqu’à Shakespeare, depuis Rousseau jusqu’à Byron, il est trop facile de compter ces génies prédestinés, et d’ailleurs ces hommes privilégiés se passent volontiers d’encouragemens aussi bien que de conseils ; ils dominent de trop haut leur temps et leur pays pour avoir besoin d’applaudissemens ou de sanction. Ils marchent fièrement et sûrement dans la voie qu’ils ont ouverte, et la postérité se charge de les venger, si leurs contemporains ont été pour eux aveugles ou injustes. Je n’entends parler ici que des esprits moyens qui relèvent directement de la discussion, qui ont besoin d’être présentés au public, d’être expliqués par une voix bienveillante. Eh bien ! je n’hésite pas à l’affirmer, la bienveillance la plus complète, la sympathie la plus loyale sera toujours impuissante, si elle ne joint pas le conseil à la louange. La louange sans le conseil est et sera toujours une louange stérile.

J’entends d’ici les poètes me crier que les poètes seuls sont capables de juger les poètes. Je ne prendrai pas la peine de leur rappeler ce que disait un des esprits les plus fins de l’antiquité : « Nous ne sommes pas tous capables d’accomplir toutes les tâches. » Cette citation serait superflue, car des faits nombreux, des faits qui datent d’hier et que personne n’a eu le temps d’oublier, prouvent surabondamment que l’ami des Pisons n’avait pas parlé à la légère, et ce serait puérilité de