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le XVIIe siècle s’est préoccupé sans relâche de la vérité humaine, c’est-à-dire de la vérité qui domine tous les temps et tous les lieux. Sans vouloir amoindrir l’importance de la vérité historique dans le domaine de la poésie, nous pouvons cependant affirmer que la vérité humaine, telle que l’a comprise le XVIIe siècle, nous offre un ample dédommagement. Les poètes de cet âge, si légèrement proscrits par les novateurs, altéraient volontiers les traditions grecques et romaines, ils démentaient sans remords dans leurs conceptions les témoignages les plus authentiques, les témoignages consacrés par la croyance de nombreuses générations ; mais ils ne perdaient jamais de vue l’étude de l’homme, l’analyse et la peinture des passions : ils ne comprenaient pas la poésie sans la philosophie. Ce mérite peut entrer en comparaison avec la vérité historique, avec la couleur locale, dont les novateurs ont parlé avec tant de fracas. Soyons justes envers l’Europe, proclamons avec admiration le génie de ses poètes ; mais ne soyons pas injustes envers notre pays. Si l’on voulait d’ailleurs aller au fond des choses, on verrait à quoi se réduit chez les plus grands poètes dramatiques de l’Europe cette vérité historique si pompeusement vantée. Shakspeare a donné plus d’une entorse à l’histoire, et Plutarque s’est plus d’une fois transformé sous sa main d’une façon inattendue. Tite-Live aussi a subi quelques métamorphoses. Calderon ne s’est guère inquiété de la vérité historique ; pour s’en convaincre, il suffit de lire son Schisme d’Angleterre. Quant à Schiller, s’il a scrupuleusement étudié le passé pour écrire son Wallenstein, il s’est conduit plus librement à l’égard de Jeanne d’Arc et de Marie Stuart. Il ne faut donc pas faire tant de bruit de la vérité historique. Les plus beaux génies invoqués par les novateurs comme des aïeux illustres dont ils voulaient suivre les leçons n’ont pas montré pour le passé un respect assidu. Je suis loin pour ma part de leur en faire un reproche. Jules César et Coriolan, bien qu’anglais parfois plutôt que romains, sont et demeurent des tragédies très dignes d’étude. Jeanne d’Arc et Marie Stuart ne méritent pas moins une attention sérieuse, bien qu’elles ne soient pas rendues avec une complète fidélité. Dans Schiller, dans Shakspeare comme dans les poètes français du XVIIe siècle, et j’ai plaisir à l’affirmer, la philosophie tient une place considérable, et c’est par la philosophie bien plus encore que par la vérité locale qu’ils méritent notre admiration.

Nous avions du moins le droit d’espérer que la poésie lyrique échapperait, par la nature même de sa mission, à la puérilité qui s’était emparée du théâtre : notre espérance a été déçue. Bien que la poésie lyrique, ramenée à ses conditions fondamentales, se propose l’expression des sentimens personnels du poète, nous avons vu ces conditions méconnues, et le néant de la pensée a tenté de se dérober