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LE PROBLÈME DE 89.

ment avec leur fougueux orgueil en matière politique, ils renvoyèrent la loi sur les testamens et sur la quotité disponible après l’achèvement de la constitution et de la législation criminelle, se bornant, par un décret du 5 septembre 1791, à déclarer non écrite toute clause impérative ou prohibitive qui serait contraire aux lois, aux bonnes mœurs, ou qui porterait atteinte à la liberté du donataire, de l’héritier, du légataire.

L’assemblée qui, pour accomplir ses expériences politiques, ne reculait ni devant la ruine ni devant le sang versé, se montrait donc réservée, et parfois timide sitôt qu’elle rencontrait en face d’elle le droit privé et jusqu’à ces traditions coutumières dont elle abhorrait le principe. Dans une partie de sa tâche demeurée la plus glorieuse et la seule durable, elle procédait par transaction, tenant compte des faits comme de l’histoire, et s’inspirant toujours de la forte et sévère raison des jurisconsultes romains ; dans l’autre, elle marchait à l’aventure, ne prenant pour guide que ses passions, ses méfiances et ses colères, ne s’inquiétant d’aucunes résistances, et trop souvent les suscitant à plaisir pour se donner l’occasion de lutter contre elles. À son œuvre politique appartient la constitution de 1791, au bas de laquelle les signatures de ses auteurs étaient humides encore lorsqu’elle fut déchirée, et la constitution civile du clergé, qui souleva contre la révolution plus d’obstacles que n’avait fait la transformation du pays tout entière. À son œuvre pratique appartiennent les divisions administratives du royaume, les grandes bases de notre organisation judiciaire, depuis les tribunaux de paix jusqu’au tribunal de cassation, notre système d’impôts maintenu et consacré par soixante ans d’expérience, enfin tous les principes générateurs d’où sont sortis les codes du consulat et de l’empire. Signaler dans les créations éphémères et les implacables passions des constituans l’occasion des crises inévitables et prochaines, c’est un devoir qu’il est moral de remplir en toute occasion ; mais tout confondre pour tout condamner, et prétendre trouver dans la législation civile de cette époque le germe des criminelles théories qui depuis ont épouvanté le monde, c’est manquer ou de discernement ou de justice.

La constituante avait disparu avec ses lois, et ses membres n’apparaissaient plus que sur les échafauds, lorsqu’à la période bourgeoise de la révolution française succéda la période démagogique. Alors la cataracte de toutes les folies déborda avec celle de tous les crimes, et le sinistre évangile dont nous voyons errer encore parmi nous quelques prophètes attardés fut tout d’une pièce annoncé aux nations. Nos utopistes contemporains sont fort en arrière de Fauchet l’illuminé, de Robespierre et de Saint-Just les niveleurs, de Babœuf et de Sylvain Maréchal les icariens. Une vérité qu’il faut mettre en relief, c’est que la montagne conventionnelle fut le Sinaï du socialisme. Pour qui