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hommes d’étude, qu’elle veut surtout parler à la foule, que c’est en un mot la forme la plus populaire que l’imagination puisse saisir. Toutefois je suis loin de croire que les opinions littéraires adoptées par les esprits illettrés naissent au sein même de ces esprits. Tous ceux qui ont suivi avec soin les premières représentations connaissent la timidité intellectuelle des spectateurs. Il y a dans la vie moderne si peu de spontanéité, que chacun tâte volontiers l’esprit de son voisin avant d’exprimer son avis. À peine trouverait-on un spectateur sur cinquante osant penser par lui-même. Il faut donc tenir compte des esprits studieux, car ces esprits, quoiqu’en minorité, imposent à la foule le sentiment qu’ils ont éprouvé. La poésie dramatique a beau s’adresser à la multitude : lorsqu’il s’agit de formuler un avis, la multitude se défie d’elle-même et consulte les esprits éprouvés par l’étude. Ainsi nous pouvons juger la réforme dramatique annoncée en 1827 d’après les sentimens de la minorité. Et il faut bien le dire, de toutes les promesses du programme, une seule a été fidèlement tenue : celle qui concernait l’assouplissement de l’alexandrin. Oui, je le reconnais volontiers, l’école nouvelle a rendu l’alexandrin plus docile et plus ductile ; c’est un service dont nous devons lui tenir compte. Elle est remontée jusqu’à Régnier et a tiré bon parti de ses enseignemens. Quant aux passions qu’elle a voulu peindre, je suis forcé de reconnaître qu’elles se recommandent par une incontestable nouveauté, car on en chercherait vainement le type dans la nature. Les sentimens de convention, tant reprochés au XVIIe siècle, sont des prodiges de naïveté, comparés aux sentimens exprimés par l’école nouvelle. Il y a dans le dialogue des personnages une ardeur fiévreuse et frénétique, une emphase, un amour des grands mots, qui fatiguent l’attention au bout de quelques minutes et rendent impossible toute sympathie intellectuelle et morale. Pour estimer la vérité de mes paroles, je prie le lecteur d’interroger sa mémoire et de se rappeler l’attitude de l’auditoire à la reprise des œuvres de l’école nouvelle. Les scènes applaudies le premier jour comme neuves, comme hardies, comme inattendues, étaient accueillies dix ans plus tard avec étonnement, et souvent l’étonnement se changeait en éclats de rire. C’est que la passion de l’école nouvelle pour l’exactitude littérale du costume et de l’ameublement avait relégué au second plan la pensée même des personnages. Il ne faut pas chercher ailleurs le secret de cette vieillesse anticipée. Les costumes et les meubles n’excitaient plus l’attention, et la pensée, réduite au second rôle, ne pouvait obtenir que l’indifférence ou l’hilarité des spectateurs.

L’hilarité ! le mot est dur, j’en conviens, et pourtant je n’en saurais trouver un qui rende plus fidèlement ma pensée. Allons au fond des choses. Non-seulement l’école nouvelle mettait le costume et l’ameublement au-dessus des caractères étudiés philosophiquement,